I A la
veille des évènements
En 1824 à la mort du roi Louis
XVIII (dynastie des Bourbons), c'est son frère le comte d'Artois
qui lui
succède et est sacré à Reims en mai 1825 sous le nom de Charles
X. En juillet 1829 le gouvernement de Charles X est mis en minorité
pour la
seconde fois, et en novembre le roi nomme un 'ultraroyaliste', le
prince Jules
de Polignac, président du Conseil des Ministres. Celui-ci est très
impopulaire. Dès la rentrée parlementaire de mars 1830, il entre en
conflit
avec la Chambre menée par 'l'adresse des 221', et le roi, prenant parti
pour
son ministre et ami, dissout celle-ci. Les élections du 21 juillet 1830
sont
caractérisées par une montée de l'opposition qui passe de 221 à 270. Le
25
juillet 1830, poussé par Polignac,
Charles X promulgue 'les Quatre Ordonnances' –suppression de la liberté
de la
presse, dissolution de la nouvelle Chambre non encore réunie,
modification du
régime électoral, convocation des électeurs pour les 6 et 13
septembre–. Paris
répond à ces mesures en se soulevant dès le 27 juillet, le 29 Charles X
se
décide à renvoyer Polignac: trop tard 'les Trois Glorieuses' ont balayé
les
Bourbons et le 9 août Louis-Philippe
est roi.
En 1830, Sartène est une
sous-préfecture
de deux mille cinq cents habitants en pleine expansion géographique et
démographique. Le centre ville, cerné par les vestiges d'anciens
remparts, est
caractérisé par ses ruelles étroites et voutées, ses escaliers, qui lui
donnent
un aspect austère, 'la plus corse des villes corses' dira Prosper
Mérimée.
Suite aux évènements survenus à la tête du pays, le peuple français est
politiquement divisé, Sartène ne déroge pas à la règle. Le parti de
Sainte-Anne[1] 'i Sant'Anninchi' rassemble des branches des familles installées sur la place du même nom près de l'ancienne chapelle[2]:
RoccaSerra, Durazzo et Pietri. A leur tête, le maire depuis six
ans, Ugo-Vincentello
RoccaSerra soutenu par le sous-préfet Antoine-François-Marie
Péraldi qui est locataire de Giovan-Paolo
Durazzo. Le parti du Borgo[3] 'i Borghegiani'
rassemble des branches des familles Ortoli, Susini et Pietri (familles fondatrices de Sartène
300 ans
auparavant), menées par Anton-Pier-Andrea
Ortoli.
La plupart des individus de chacune de ces cinq familles font partie
d'une
classe dirigeante de gros propriétaires terriens que l'on appelle les
'sgios'.
C'est grâce aux rapports de leurs vastes domaines qu'ils ont pû
financer leurs
reconnaissances de noblesse italienne/génoise par la France dans les
années
1770.
Comme dans n'importe quel village de France les conflits y sont
fréquents, sur
les trente dernières années cinq d'entre eux ont particulièrement
marqué les
esprits sartenais et peuvent laisser présager de ce qu'il va se passer:
- En 1803 Pietro
Pietri, oncle du juge Pietro-Maria
Pietri, fut assassiné et l'on attribua ce crime à Giovan-Paolo
Durazzo et Pietro-Paolo
Durazzo qui ne seront pas inquiétés.
- En 1805 (ou 1806) le berger Simon
Bounna fut assassiné et l'on imputa ce crime à Giovan-Paolo
dit Paoluccio RoccaSerra et Giovan-Paolo
dit Biscottelluccio RoccaSerra qui ne seront pas plus inquiétés que
les
précédents.
- Les 7 et 14 octobre 1810 les bans de mariage de la très riche Angela-Maria
Ortoli et Giuseppe-Maria
Ortoli furent publiés avant que la future épouse dise non au futur
époux
que sa famille tente de lui imposer. Les 2 et 9 août 1812 les bans de
mariage
de la même Angela-Maria
Ortoli et Filippino
RoccaSerra furent publiés contre l'avis de plusieurs de ses
parents
qui soupçonnent l'avidité de l'époux. Ces derniers entamèrent une
procédure
judiciaire pour empêcher ce mariage en la faisant passer pour folle, en
vain
car le 3 décembre le mariage fut célébré. En 1820 la justice
s'intéresse
toujours aux conditions de ce mariage.
La très longue inimitié entre les RoccaSerra et les Ortoli ne peut être
passée
sous silence pour expliquer les évènements à venir. Comment expliquer
qu'il ait
fallut attendre 200 ans entre le premier mariage entre un RoccaSerra et
une
Ortoli (1604) et le seond (1812) (cf Annexe
Rocha Serra/da Ortolo). De même en 1815, suite à la 2nde abdication
de Napoléon,
les partis s'entendent pour éviter une guerre civile (cf Annexe
1815), sauf les Ortoli et certains Pietri. Ou quand les conflits familiaux se mêlent à la politique!!!
- Le 2 mai 1814 sous l'Empire, le sous-préfet Giovan-Battista-Federico
Susini était un ami des borghegiani, Paolo-Maria
Susini, son neveu issu de germain et cousin germain du maire, l'assassina et malgré les
conclusions à
mort du Ministère public fut acquitté par la Cour de justice criminelle
en
1818.
- Le 11 octobre 1816 Pietro
Susini fut assassiné par Vitale
Durazzo et Clementino
RoccaSerra et les coupables condamnés à mort par contumace, la
sentence ne sera jamais exécutée.
Ces quatre meurtres attestent de la suprématie et de l'impunité dont jouissent les familles
Rocca Serra
et Durazzo.
En juillet 1830, le sous-préfet Péraldi
s'est rendu à la préfecture d'Ajaccio, accompagné des trois Grands
Electeurs de
Sartène (Paoluccio
RoccaSerra, le juge Pietro-Maria
Pietri et l'ex-préfet impérial du Golo Anton-Giovanni
Pietri), pour l'élection législative du 21 juillet 1830, qui élit Alesandro
Colonna d'Istria et un certain Roger (l'intérim de la
Sous-préfecture
étant confié à Vincent
Ortoli de Tallano, un proche des RoccaSerra, membre du Conseil
d'arrondissement). Le 5 août 1830 la Chambre des députés annule
l'élection du
21 juillet pour irrégularités, seront élus le général vicomte Tiburce
Sebastiani et Jacques-Pierre
Abbatucci. La situation semblant stabilisée, Péraldi
qui a vu son mandat de sous-préfet confirmé en profite pour prendre son
congé à
Ajaccio.
II Emeute
à
Sartène
Le 12 août 1830 arrive à Sartène
la
nouvelle du changement de gouvernement et l'ordre du préfet d'arborer
le
drapeau tricolore. Le maréchal des logis Sabiani
arbore le drapeau à la caserne et le peuple l'arbore lui-même sur le
clocher de
l'église paroissiale et au couvent. Le maire Ugo-Vincentello
RoccaSerra fait appeler le maréchal des logis Sabiani
et l'invite à enlever de la caserne le drapeau tricolore, sinon lui
maire
arborerait le drapeau blanc, prétextant que le nouveau gouvernement ne
pouvait
point durer, que c'était 'le gouvernement du roi Théodore'.
Le maire
assemble le Conseil municipal et propose, appuyé par Paoluccio
RoccaSerra, le juge Pietro-Maria
Pietri, Giovan-Paolo
Durazzo et son fils Policarpe,
de faire ôter le drapeau du clocher, mais la majorité leur fait
comprendre
qu'ils risquent de s'attirer les foudres du peuple, finalement le
drapeau est
retiré de la caserne mais reste sur le clocher. Lors de ce même Conseil
municipal Anton-Pier-Andrea
Ortoli lance à Ugo-Vincentello
"nous ne vous reconnaissons plus comme maire", Raphaelle
Ortoli reproche alors à son père ces paroles et prie le maire
de les excuser. Le soir du même jour la nouvelle et l'ordre d'arborer
le
drapeau sont officiellement transmis par le colonel de gendarmerie, le maire
fait une proclamation pleine de sagesse et de patriotisme, et le
drapeau
tricolore est partout arboré. Des réjouissances sont organisées
auxquelles le maire
ne prend pas part. Le 14 le peuple décide, comme c'est l'usage lors des
fêtes,
d'élever et de brûler un mai. Il est d'usage que le maire y mette le
feu, mais
le peuple s'y oppose et tente même de l'empêcher d'y assister.
Finalement c'est
grâce à l'intervention notamment du président du Tribunal de 1ère
instance de Sartène Toussaint
Nasica et du procureur du roi Fournery,
et accompagné de Raphaelle
Ortoli et des mêmes que Ugo-Vincentello
peut assister aux festivités. Le 15, le bruit ayant couru que le
sous-préfet Péraldi
était rentré nuitamment à Sartène, le peuple s'assemble sur la place de
Porta
dans l'intention de descendre à Ste-Anne et de le chasser de la ville.
Et c'est
encore par la médiation de Fournery,
Nasica
et Ortoli,
qui assurent que Péraldi
est toujours à Ajaccio, que le calme revient. A cette occasion les
santanninchi
ne bougent pas, mais n'hésitent pas à dire qu'ils auraient pris la
défense de Péraldi
s'il avait été présent.
Le changement de régime voit l'intérim de la Sous-préfecture confié à Anton-Pier-Andrea
Ortoli. La crainte de perdre le pouvoir s'installe chez les
roccaserristes,
tandis que l'espoir d'un changement motive les ortolistes. Au début du
mois Giacomo-Filippo
Abbati, seul débitant de poudre à feu à Sartène, a vendu à François-Xavier
Pietri, neveu de l'ex-préfet Anton-Giovanni
Pietri, trois kilogrammes de poudres, à Alphonse
RoccaSerra deux kilo et à Michele
Durazzo un kilo, le 3 septembre il en vendra de nouveau à François-Xavier
Pietri deux kilo, aux mêmes et à la même époque il vendra vingt
cinq ou
trente livres de balles. Il en vend aussi à beaucoup d'autres maisons
mais en
plus petites quantités. Vers le 10 septembre Anton-Francesco
dit Coppio Durazzo sera envoyé à Bonifacio par son oncle Ugo-Vincentello,
il en reviendra avec environ cinquante livres de poudre.
Le 18 août Anton-Pier-Andrea
reçoit l'ordre du préfet par intérim Honoré
Jourdan du Var d'organiser une garde nationale. Le maire et son
parti
s'opposent à cette organisation en disant qu'une telle formation n'est
ni utile
ni convenable et que cela revient à donner le pouvoir à un ramassis de
factieux, le juge Pietro-Maria
Pietri ajoute que si la garde est formée elle ne passera pas dans
Sartène
mais qu'eux s'y promèneront. Le maire écrit au préfet
que tout est paisible et que les tribunaux rendent la justice. Face à
cette
opposition, Anton-Pier-Andrea
écrit à son tour au préfet
pour lui demander ce qu'il doit faire mais les réponses sont lentes et
évasives. Le 7 ou 8 septembre un des enfants Ortoli[4] parcourre la ville à la
tête d'une farandole aux cris de 'vive
Napoléon,
vive la Charte, vive le Roi, vive la Liberté'. Ce groupe de jeunes gens
arrivés
sur la place publique, on dit alors que le général Sebastiani
vient en Corse comme commissaire organisateur, que tous les emplois
étaient
distribués à ses amis ou adhérents, qu'on devait former la garde
nationale, et
que tous ceux qui y auraient des grades les conserveraient ensuite dans
la
troupe de ligne. Le 8 septembre, Anton-Pier-Andrea
forme une commission administrative (conformément à la loi de 1790)
destinée à la
formation de la dite garde et invite par voie d'affichage tous ceux qui
veulent
en faire partie à s'inscrire sur les listes. Le 10 septembre, le maire
dans une lettre au préfet,
demande le retour de Péraldi
pour faire cesser l'intérim "humiliant" d'Ortoli.
En trois jours une garde nationale, de huit compagnies, composée de
gens du
Borgo est formée, sans que le maire
ne soit invité à participer ni à la formation de la commission ni à
celle de la
garde. S'en suit l'attribution des grades et l'on prête serment avant
même que
l'établissement de la garde ne soit régularisé et approuvé. Personne au
sein
des familles liées aux santanninchi n'a reçu d'invitation ni de grade,
sauf…
l'oncle du maire, Michele
RoccaSerra… qui est infirme depuis quelques mois.
La garde nationale est ainsi constituée:
Commandant Giovan-Paolo
dit Capo d'orso Rosolani
Capitaine Pierre-Marie
Susini
Jacques
Casanova
Paolo-Natale
Peretti
Alesandro
Bradi
Jules
Pietri
4 bergers de l'Ortolo
Capitaine Sebastiano
Pietri
Lieutenant Pietro
Pietri
Jean
Lucciani
Capitaine Camille
Pietri
Capitaine Paul-Marie
Susini (de la 3è cie)
Capitaine Antoine-Jean
Rosolani
Capitaine Anton-Pietro
Pietri
Capitaine Giacomo-Andrea Ortoli
Adjudant-major Paolo-Francesco
Ortoli
Adjudant Giacomo-Alfonso
Susini
Lieutenant Anton-Giovan-Paolo
dit Bongiorno Susini
Lieutenant Anton-Francesco
Ortoli
Lieutenant Ettore
Bartoli
Lieutenant Etienne-Antoine
Pietri
Sous-lieutenant: Paolo-Giuseppe
Susini
Sous-lieutenant: Giovan-Battista
Susini
Sous-lieutenant: Antoine-Marc
Pietri
Soldat Vincent
Susini
Soldat Ange-Marie
Pietri
Le 15 septembre le bruit se
répand
rapidement que Péraldi
doit débarquer le lendemain à Propriano, et qu'il se dispose à
reprendre son
poste à la Sous-préfecture, au besoin par la force. Dans la soirée les
officiers de la garde nationale sont réunis chez Anton-Pier-Andrea,
le capitaine Camille
Pietri prend le premier la parole et dit que l'objet de leur
réunion a
pour but l'arrivée du sous-préfet Péraldi,
que l'on ne doit pas permettre son entrée dans la ville attendu qu'il
est
l'auteur des désordres précédents survenus dans la ville. Giovan-Battista
Susini fils aîné du juge Giacomo-Antonio
répond qu'il peut arriver jusqu'à la fontaine, qui est l'entrée du
pays, avec
les personnes qui désirent l'accompagner, mais qu’à partir de ce lieu
le
sous-préfet doit entrer seul. L’adjudant-major Paolo-Francesco
Ortoli répond que pour sa part il ne doit y entrer d'aucune
manière. Le
commandant Capo
d'orso Rosolani ajourne la réunion au lendemain pour en
déférer au
comité, ajoutant que chacun devrait être prêt le lendemain au premier
coup de
tambour. Mais le capitaine Pierre-Marie
Susini prend la parole et dit que toute personne est libre
d'entrer
dans la ville, et que si on ne veut pas le reconnaître comme
sous-préfet on
doit au moins le regarder comme un privé, et il ajoute qu'il descendra
lui-même
le chercher à Propriano. Vers 21h, le juge de paix Paolo-Maria
Susini reçoit la visite de Capo
d'orso et du capitaine Sebastiano
Pietri qui l'informent de l'arrivée imminente de Péraldi,
et que les santanninchi s'apprêtent à aller à sa rencontre avec de
nombreux
gens armés étrangers à Sartène qu'ils doivent faire venir des
différents pays
voisins. Le juge
de paix accède à leur prière d'intervenir auprès des santanninchi
pour que
le sous-préfet n'arrive point avec une telle escorte mais en compagnie
de
quelques personnes sans avoir recours aux étrangers, et par ce moyen la
tranquillité en ville serait maintenue.
Très tôt le matin du 16 Jerome
dit Bisentelluccio RoccaSerra se rend au moulin de Pietro
Pietri et se fait remettre par force une corne marine par le fils
du meunier Pierre Mozziconacci. Vers 6h toujours du matin quelques
officiers de
la garde nationale, Antoine-Jean
Rosolani, Giacomo-Andrea
Ortoli, Sebastiano
Pietri, Anton-Fioravante
Pietri et Etienne-Antoine
Pietri, qui se promènent à Liccioli du coté de la maison de
l'ex-préfet Pietri,
aperçoivent un attroupement de gens armés sur la place Ste-Anne. Ils
distinguent successivement Michele
Durazzo et Bisentelluccio
qui sonnent 'il corno di la rivolta, le cor de la révolte', ainsi nommé
parce
que c'est le signal de tous les mouvements révolutionnaires, et
s'empressent
d'aller en informer Capo
d'orso Rosolani.
Il est 6h30, sur ordre du commandant Capo
d'orso Rosolani, le tambour Giovan-Battista
Pachel entame le tour de la ville pour battre le rappel de la garde
nationale. Après avoir dépassé la place de Porta en direction de
Ste-Anne il
arrive à la hauteur de la maison de Anton-Pier-Andrea
où il est arrêté par Giovan-Paolo
dit Cento-parole RoccaSerra qui lui ordonne avec menaces "torna
in dietro o ti ammazzeremmo, retourne en arrière ou nous te
tuerons".
A la demande du commandant de la garde nationale, Anton-Pier-Andrea
requiert du maréchal des logis Jean-Baptiste
Valle une escorte pour que le tambour puisse continuer de battre le
rappel,
ce dernier envoie les gendarmes Jean
Brocas et Pierre-Etienne
Bertrand. Le tambour, ainsi accompagné, reprend sa marche mais
arrivé à
Ste-Anne le maire et un de ses frères l’arrêtent. Le frère du maire dit
au
tambour en montrant l'ormeau "vois tu cet arbre, nous allons t'y
pendre".
Le maire le force à jouer et, au motif qu'il est maire donc chef de la
police,
lui confisque sa caisse en disant que ce n’est pas un tambour de garde
nationale mais un tambour révolutionnaire. La place est remplie de gens
armés,
le maire tient d'une main deux stylets
et de l'autre deux cannes à épée, le frère du maire ainsi que plusieurs
autres
portent leurs stylets sur la cartouchière, Coppio
Durazzo est armé d'un tromblon avec un canon en forme de gueule. Brocas
fait observer au maire qu'il a ainsi que les autres des armes
prohibées, ce à
quoi il répond "cela ne vous regarde pas. Aujourd'hui c'est la
liberté
on peut porter ce que l'on veut et vous pouvez rentrer dans votre
caserne".
Sur ce les trois hommes se retirent dans leur caserne.
Ugo-Vincentello
fait appeler le maréchal des logis Valle
et lui propose que la gendarmerie les accompagne à Propriano chercher Péraldi.
Le dit maréchal des logis lui répond qu’il accepte à condition que
personne de
Ste-Anne ne vienne, mais Giovan-Paolo
Durazzo fait remarquer au maire qu'au vu de l'agitation qui règne
sur la
place de Porta il est préférable que la gendarmerie reste en ville, et Valle
se retire dans la caserne. Vers 8h30 le maréchal des logis assiste au
premier
départ de 4 ou 5 hommes de Ste-Anne pour Propriano. De la place du
couvent, Giovan-Battista
Susini et trois autres individus veulent tirer sur l'attroupement
de
Ste-Anne mais ils en sont empêchés par l'abbé Paolo-Maria
Pietri.
A défaut de tambour la garde nationale est réunie au son du tocsin sur
la place
de Porta. Nombreux sont ceux qui, alertés par le tumulte qui règne, s'y
rendent
et y apprennent qu'il est dû à l'arrestation du tambour et à la volonté
des
santanninchi d'escorter en nombre et en armes le sous-préfet. En tant
que
parent commun aux deux partis, l’avocat Jean-Baptiste
Ortoli propose à Anton-Pier-Andrea
qui l’accepte de servir d’intermédiaire, il se rend donc auprès du
maire. Jean-Baptiste
rejoint par l'ex-receveur Giuseppe
Peretti, également parent des RoccaSerra et des Durazzo, demandent
au maire
de restituer la caisse à la garde nationale mais celui-ci leur répond
que la
garde nationale ne le reconnaît pas comme maire, et qu'à son tour il
n'entend
pas reconnaître la garde nationale. Dans le même temps le juge de paix Paolo-Maria
Susini expose au président Nasica
l'entretien qu'il a eu la veille au soir et lui demande de le seconder
dans sa
mission, ils se rendent ensemble à Ste-Anne. Les deux hommes, après un
entretien
avec Paoluccio
RoccaSerra au cours duquel ils tentent vainement de le convaincre
de ne pas
aller armé au devant de Péraldi,
se tournent vers le maire qui est en grande discussion au sujet de la
caisse
avec l'avocat Ortoli
et Giuseppe
Peretti (est également présent pour tenter de concilier les parties
Anton-Francesco
dit Fajato Pietri). Le maire refuse toujours de rendre la caisse
arguant
qu'il a usé de son droit et que la police de la ville lui appartient,
qu'il a
d'abord ordonné au tambour
de ne point venir dans ce quartier, qu'il y est revenu et qu'alors on
lui a
enlevé la caisse. Devant leur insistance, Ugo-Vincentello
finit par céder, il fait appeler, par le gendarme Bertrand,
le maréchal des logis Valle
auquel il restitue la caisse contre sa parole d’honneur qu’il la
garderait dans
la caserne. Valle
la prend, la remet au gendarme Carlotti
et vont à la caserne, où Valle
la place sous son lit.
Ce premier point réglé, les quatre intermédiaires abordent le sujet de
l’escorte du sous-préfet Péraldi.
Ils communiquent la solution de Capo
d'orso Rosolani et du capitaine Sebastiano
Pietri pour éviter une escorte armée qu'ils ne peuvent tolérer, à
savoir
que seules deux ou trois personnes accompagnent le sous-préfet. Giuseppe
Peretti propose aux santanninchi d'envoyer quelques uns des leurs
réunis à
quelques uns de la garde nationale: refusé, il propose alors de s'y
rendre
lui-même avec le juge de paix Susini
et quelques autres: nouveau refus des santanninchi qui soutiennent
qu'on ne
peut les empêcher d'aller à la rencontre d'un fonctionnaire public et
surtout
d'un ami.
Face à cette opposition, les médiateurs se rendent place de Porta où il
trouve
une garde nationale en effervescence car exaspérée que la caisse du
tambour ne
lui ait pas été rendue. Tous ignorent que quelques instants auparavant Anton-Pier-Andrea,
par l’intermédiaire du maréchal des logis Détrié,
a ordonné à Valle
de restituer la caisse à la garde nationale et de se réunir avec toute
la
gendarmerie, les deux réquisitions étant immédiatement exécutées. La
gendarmerie qui n’a pas bougé du point de ralliement, constatant que le
calme
est revenu, se retire dans la caserne et les médiateurs peuvent renouer
le
dialogue avec Capo
d'orso Rosolani. Mais celui-ci persiste à vouloir que deux ou trois
personnes seulement aillent au devant de Péraldi,
et il ajoute que la garde nationale va effectuer une patrouille dans
toute le
ville. C'est alors que Fajato
Pietri propose de soumettre aux santanninchi une escorte composée
de
lui-même, du juge de paix Susini,
de l'avocat Ortoli
et du maire. Et c'est avec l'approbation de Nasica
et de la garde nationale qu’il se rend à Ste-Anne tandis que les autres
intermédiaires négocient et obtiennent un report de la patrouille.
Pendant que les médiateurs sont sur la place de Porta, les hommes armés
qui
jonchaient la place Ste-Anne descendent à Propriano, parmi lesquels Pietro-Paolo
et Bisentelluccio
RoccaSerra frères du maire, Paoluccio
RoccaSerra et l'ex faisant fonction de sous-préfet Vincent
Ortoli de Tallano. Le capitaine de la garde nationale Pierre-Marie
Susini, qui la veille s'était quelque peu opposé aux dires des
autres
officiers et avait annoncé son intention d'aller chercher le
fonctionnaire,
descend lui aussi avec sa compagnie. Les santanninchi n'étant pas sûrs
que Péraldi
débarquent précisément à Propriano, Paolo-Francesco
RoccaSerra quant à lui descend au lieu dit 'li Stanteri' où il
retrouve le maire de Granace Giovan-Simone
Leandri auquel il avait donné rendez-vous.
Quand les trois intermédiaires arrivent à Ste-Anne ils constatent parmi
ceux
qui restent le maire, son frère Paolo-Francesco
II, Geronimo
RoccaSerra fils de Paoluccio, Jerome
RoccaSerra fils de Michele, Giovan-Paolo
Durazzo, son fils Policarpe,
Coppio
Durazzo et Ignazio
Durazzo. Fajato
Pietri a déjà fait part de son offre à Ugo-Vincentello
et celui-ci ne tarde pas à l'approuver ajoutant Paoluccio
RoccaSerra à la liste, étant entendu que les santanninchi qui sont
déjà à
Propriano remonteraient sans former une escorte au sous-préfet. Mais le
président
Nasica
aborde le délicat sujet du passage de la patrouille de la garde
nationale par
Ste-Anne. Les santanninchi répondent qu'ils s'opposent à toute
intrusion dans
leur quartier, que le passage de la patrouille à Ste-Anne n’est pas
justifié et
serait une provocation "nous avons souffert assez d'affronts, nous
ne
voulons plus en souffrir". D'autres ajoutent "se vengono per
qui l'abbiamo da far fuoco, bisogna morire perché sono gente torbida, e
non
vogliono che farci del male, s'ils viennent par ici nous devrons
faire feu,
au besoin les tuer parce qu'ils sont gens troubles, et qu'ils ne
veulent nous
faire que du mal", qu'elle ne passe pas par ici "perche le nostre
porte morsicano, parce que nos portes mordent" ou encore "ambi
le pierre faranno fuoco, les pierres aussi feront feu".
A la proposition de l'avocat Ortoli
de retourner place de Porta, ajoutant qu'il espère obtenir de la garde
nationale qu'elle ne fasse pas de patrouille, les quatre médiateurs se
rendent
auprès de Giovan-Paolo
Rosolani. Ils lui exposent que le problème de l'escorte est réglé
et qu'il
n'y a plus d'attroupement à Ste-Anne. Après les voir écouté, le
commandant de
la garde nationale maintient son désir de faire une patrouille pour
maintenir
le bon ordre, et les invite à évoquer la situation avec Anton-Pier-Andrea.
Et l'on voit Paul-Mathieu
dit Capicchia Quilichini traverser la place de Porta tenant
une hache
à la main (hache qui lui avait été remise dans la matinée par le
médecin Anton-Fioravante
Pietri pour descendre à sa vigne garder la vendange et greffer des
poiriers), disant en riant qu'il veut accompagner la patrouille avec sa
hache,
mais le capitaine Sebastien
Pietri ou le commandant Capo
d'orso Rosolani lui répond "vas-t-en nous n'avons pas besoin de
hache".
Voici donc Nasica
accompagné du juge de paix Susini,
Fajato
Pietri et l’avocat Ortoli,
exposant leurs craintes au sous-préfet
par intérim qui leur répond que lui-même ne voit pas la nécessité
de faire
une patrouille mais qu’il ne voit pas non plus pourquoi empêcher la
garde
nationale de la faire si elle la juge nécessaire, il estime seulement
légitime
de verbaliser le maire pour son action envers le tambour et pour
l’attroupement
qu’il a provoqué dans son quartier et de soumettre cela à la décision
du préfet.
A la prière de Nasica,
le faisant fonction de sous-préfet
se rend sur la place de Porta pour faire part au commandant Rosolani
de son avis. Mais Rosolani
n’en démords pas, la patrouille est indispensable dans le cadre du
maintien de
l’ordre.
Deux médiateurs quittent la place, seuls Nasica
et Paolo-Maria
Susini tentent encore de retenir un par un les gardes nationaux qui
sont
déjà en marche. Bientôt le juge de paix Susini
se retire également et c'est le conseiller-auditeur Susini
qui a son tour tente de retenir la garde nationale. Anton-Santo
Mancini et son beau-frère Giuseppe
Pietri persuadent Nasica
de s'écarter de cette foule et le ramènent chez lui, seul le
conseiller-auditeur Susini
continue et parvient à faire faire demi-tour à la garde nationale qui
était
déjà à la hauteur de la maison d'Anton-Pier-Andrea.
A Ste-Anne ce faux départ de la patrouille n'était pas passé inaperçu. Paolo-Francesco
II RoccaSerra frère du maire, se promenant avec l'abbé Tramoni
sur la place de Porta et voyant la garde nationale prête à s'engager
sur le
chemin de Ste-Anne, avait rejoint son quartier et s'était écrié "la
garde nationale approche". Coppio
Durazzo et le même Paolo-Francesco
II, le premier armé d'un tromblon, le second d'un fusil, s'étaient
ensuite
réfugiés dans la maison de la veuve Felice
Durazzo, et Paolo-Francesco
II avait dit à l'autre "lampati all'archere, prend place aux
créneaux".
11h, Anton-Pier-Andrea
ordonne à la gendarmerie de s’unir à nouveau à la garde nationale sur
la place
de Porta pour faire ensemble une patrouille dans la ville. Pourquoi
avoir fait
appel à la gendarmerie? Au sein même de la garde nationale les avis
divergent,
certains l'expliquent par un soucis de légitimité, d'autres pensent que
c'est
pour montrer leur pacifisme, d'autres encore pensent que c'est pour
renforcer
la patrouille. La patrouille est composée pour la garde nationale de
trente à
quarante hommes et pour la gendarmerie de deux maréchaux des logis et
six
gendarmes.
Avant le départ le commandant Capo
d'orso Rosolani dit à ses hommes "il s'agit de faire une
patrouille
pour la tranquillité, soyez tranquilles, vous ferez le tour de la
ville, vous
passerez", "se vi maltrattano di parole lasciateli dire, se vi
battono vi difenderete, s'ils vous agressent verbalement laissez
les dire,
s'ils vous frappent défendez-vous", "nous avons la justice avec
nous elle saura faire son devoir".
A 11h30, en rang par deux, la garde nationale commandée par le
capitaine Sebastiano
Pietri, qui a estimé que la présence du tambour n'était pas
souhaitable,
entame sa ronde de la place de Porta en direction de Ste-Anne, suivie à
quelques pas de la gendarmerie.
En tête de colonne le capitaine Antoine-Jean
Rosolani avec à sa droite le lieutenant Ettore
Bartoli, au second rang le capitaine Sebastiano
Pietri avec à sa droite le lieutenant Etienne-Antoine
Pietri, suivis des autres officiers parmi lesquels: le lieutenant Pietro
Pietri, le capitaine Camille
Pietri, le capitaine de la 3è cie Paul-Marie
Susini, le capitaine Anton-Pietro
Pietri, le capitaine Giacomo-Andrea
Ortoli, l'adjudant-major Paolo-Francesco
Ortoli, l'adjudant Giacomo-Alfonso
Susini, le lieutenant Bongiorno
Susini, le sous-lieutenant Paolo-Giuseppe
Susini, le sous-lieutenant Giovan-Battista
Susini, le sous-lieutenant Antoine-Marc
Pietri, et de leurs hommes respectifs. Pour la gendarmerie, les
maréchaux
des logis Valle
et Détrié
et les gendarmes Brocas,
Carlotti,
Bertrand,
Guerignon,
Gignan
et Chabrand.
Sur le chemin de Liccioli, un
autre
quartier de Sartène, non loin de la maison de l'ex-préfet Pietri
où vit François-Xavier
Pietri, pendant les dernières négociations, Dominique-Victoire
Susini est à sa fenêtre avec sa domestique Genevieve
Boucher, observant le dit François-Xavier
et Camillo
Casanova qui se promènent près de la place du dit Casanova. François-Xavier
disait qu'il régnait de l'agitation à propos de l'arrivée de monsieur Péraldi,
que les uns le voulaient que les autres ne le voulaient pas, ajoutant "ne
nous mêlons pas des affaires des autres, et restons tranquilles".
Ils
sont rejoints par Valerius
Susini et Pietro
dit Zampaglino Pietri tandis que Jean-Charles
Susini sort sur le pas de sa porte. Quand, voyant la patrouille
prendre le
chemin de Ste-Anne, Dominique-Victoire
Susini dit "voilà la garde nationale", François-Xavier
réplique "dites plutôt, madame, la garde séditieuse". A ce
moment Jean-Charles
Susini quitte le seuil de sa porte et se met à sa fenêtre.
Dans un autre quartier encore, le juge Giacomo-Antonio
Susini et son fils Giovan-Battista
sortent du Palais de Justice armés, armes qui étaient probablement des
pièces à
conviction qu'ils ont prises au greffe du Tribunal.
Le calme règne sur la place quasi
déserte
de Ste-Anne. Aux abords de la chapelle, Tecla
la femme du maire et Laura
Leonardi installent quelques planches pour faire sécher du raisin
au
soleil, Ignazio
Durazzo traverse la place. Quand ils voient les premiers rangs de
la garde
nationale arriver, chacun rentre précipitamment chez lui. Jerome
RoccaSerra fils de Michele lance "adesso ci sono, maintenant
ils y sont" et Ignazio
Durazzo "alle armi, aux armes", Angeline-Marie
dite Santannuccia Pietri qui ne s’est pas encore mise à l’abri
s'écrie
"attendez".
Disposées sur la gauche, en demi-cercle, il y a d'abord la maison de Anton-Goffredo
dit Tatello RoccaSerra puis celle de la veuve Felice
Durazzo, et celle de Policarpe
Durazzo, à gauche et un peu derrière la maison de Giovan-Paolo
et Ignazio
Durazzo, à gauche et à coté la maison du maire que suit celle de Paoluccio
RoccaSerra, et au-delà la chapelle du même Paoluccio,
enfin à droite de l'autre coté du ravin la maison de l'ex-préfet Pietri
et celle des frères Cento-parole
et Anton-Goffredo
dit Stellato RoccaSerra. A cet instant se trouvent,
- chez Tatello
RoccaSerra: Tatello
RoccaSerra, Filippino
et Paolo-Francesco
dit Sialagone ses fils, Pietro
Pietri de feu Michele et Ugo-Vincentello,
qui était venu demander à son oncle Tatello
un cheval pour descendre à Propriano comme convenu avec les médiateurs
- chez la veuve Felice
Durazzo: Coppio
Durazzo, Paolo-Francesco
II RoccaSerra le frère du maire, Vincentello
Colonna d'Istria de Sollacaro
- chez Policarpe
Durazzo: Policarpe
Durazzo
- chez Giovan-Paolo
Durazzo: Giovan-Paolo
(un témoin dit l'avoir vu à la fenêtre de Policarpe
Durazzo?), Michele
Durazzo et Jean-Baptiste
Paoli tous deux de Fozzano
- chez le maire: Tecla
RoccaSerra, l'abbé Giovan-Agostino
RoccaSerra de Levie, deux bergers Jean-Baptiste
Lucchini et Simon
dit Bongiorno Codaccioni et le valet de ville Philippe
Leandri
- chez Paoluccio
RoccaSerra: Geronimo
RoccaSerra le fils de Paoluccio, Giovan-Luca
Colonna d'Istria de Sollacaro et Jean-Baptiste
RoccaSerra de Porto-Vecchio.
Le premier rang de la patrouille, ayant dépassé l'ormeau, arrive à huit
pas de
la chapelle face à la maison du maire, la femme du maire Tecla
se tient dans l'encadrement de sa porte d'entrée, le battant droit de
la dite
porte fermé. Anton-Silvestro
Susini, un des nombreux enfants qui accompagnent la garde
nationale,
aperçoit Coppio
Durazzo qui tient son fusil en joue pointé vers la garde nationale,
et crie
à son oncle Rosolani
"o zio Anton-Giovanni
che vi ammazzano salvatevi, oh oncle Antoine-Jean
ils vous visent sauvez-vous". Antoine-Jean
se retourne et vois partir un coup de feu d'une des maisons Durazzo qui
vient
frapper Sebastiano
Pietri (la blessure a son entrée à la partie gauche et postérieure
du col
et va sortir à la partie inférieure tout prés de l’œsophage), il
réplique en
déchargeant son fusil contre la maison du maire, ses deux balles
s'encastrant
dans le battant gauche de la porte, avant de s'enfuir avec Ettore
Bartoli par le chemin entre la maison de Paoluccio
et la chapelle. Sebastiano
se relève, tentant de fuir, mais retombe après quelques pas face à la
chapelle
(il sera emmené chez Fajato
Pietri avant d'être transporté chez lui).
De chez Tatello
RoccaSerra, le maire qui a assisté à la scène s'écrie "fate
fuoco a
questi assassini, o la mia povera famiglia, faites feu à ces
assassins, oh
ma pauvre famille", Tatello
qui était encore couché se lève et dit "siano ruinati et disfatti,
ils sont ruinés et défaits". C'est alors qu'une première fusillade part
de
toutes les maisons de Ste-Anne, à l'exception de celle de Marabotti,
contre la
GN qui réplique (les deux maisons déjà citées qui font face à Ste-Anne
ainsi
que la chapelle tirent également sur la patrouille). Anton-Giovan-Paolo
Susini est le second blessé (la blessure a son entrée à la partie
gauche et
supérieure du col, lui traverse les vertèbres, et va sortir à la partie
droite
et supérieure du col), touché par un coup de feu émanant de la maison
de Tatello,
d'où Pietro
Pietri et le maire ont tiré simultanément, et si l'on en croit ce
que dira
la victime au capitaine Paul-Marie
Susini "Gesu e Maria, o Paolo-Maria,
che sono morto, che dovevo io al figlio del signor Giovan-Paolo
Biscottelluccio, non dovevo ne sangue ne acqua, Jésus et Marie,
oh Paul-Marie,
que je sois mort, que je le dois au fils du sieur Giovan-Paolo
Biscottelluccio, je ne lui devais ni sang ni eau". Trois autres
blessés, Paolo-Francesco
Ortoli victime d'un tir provenant de la maison de Paoluccio
RoccaSerra (d'un coup d'arme à feu du calibre de 20 ou 22 environ à
la
partie intérieure et supérieure droite de la poitrine tout prés de
l'humérus
ayant son entrée directe un peu de haut en bas, et sa sortie par
derrière à la
partie supérieure prés de l'épaule de la même partie droite), Giacomo-Alfonso
Susini victime d'un tir provenant de la maison Pietri
(plusieurs légères blessures dans la partie externe de la cuisse droite
ainsi
que dans les fesses, produites avec du petit plomb) et Giacomo-Andrea
Ortoli (plusieurs légères blessures dans la partie droite du visage
et du
col correspondant, produites avec du petit plomb). Tel est le bilan de
la
première fusillade.
La gendarmerie arrive à son tour sur la place criant "respect à la
loi,
respect à la justice", en vain car elle est reçue par une seconde
fusillade qui se solde par deux blessés dans ses rangs. Brocas
victime d'un coup de feu tiré de chez Paoluccio,
de la chapelle ou de la maison Pietri
(blessure à la tête derrière l'oreille gauche ayant un pouce et demi de
profondeur et la direction directe un peu transversalement vers la
partie
extérieure, produite par un coup d'arme à feu du calibre de 18 à 20
environ). Chabrand
maintiendra, après s'être contredit, que le coup qui l'a touché venait
de la
maison Pietri
(blessure tegumentale à la partie externe et supérieure de la fesse
droite,
tout prés du grand trogantere, de deux pouces environs de longueur,
reçue
transversalement).
Après ces deux fusillades les tirs continuent et chacun cherche à se
mettre à
l'abri. Certains prennent la fuite, d'autres notamment les gendarmes se
réfugient derrière des tas de pierres, la forge ou le four, d'autres
rentrent
chez eux comme Paolo-Francesco
Ortoli, d'autres se cachent dans l'église comme le lieutenant Pietro
Pietri qui y restera trois heures, d'autres encore se réfugient
dans les
maisons alentours comme les soldats Jean-Baptiste
Serra, Giuseppe-Maria
Istria, Anton-Guglielmo
Pietri, Ange-Marie
Pietri, Vincent
Susini et le lieutenant Etienne-Antoine
Pietri chez Charles-Laurent
Pietri où ils resteront vingt quatre heures, d'autres notamment des
gardes
nationaux vont au couvent, continuant le combat.
Tandis qu'à Ste-Anne les premiers
coups
de feu retentissent, sur la place de Camillo
Casanova, François-Xavier,
Camillo,
Valerius
et Zampaglino
se mettent à l'abri dans un chemin creux qui conduit à l'écurie de Camillo.
Chez François-Xavier,
c'est-à-dire dans la maison de l'ex-préfet Anton-Giovanni
Pietri, son neveu Anton-Maria
Orsini est en compagnie de Anton
Pietri, inquiet il s'empare d'un fusil pour aller chercher son
oncle mais
sa grand-mère Maria-Felice
Pietri (cousine germaine de La Colomba
de Mérimée)
l'en empêche. Peu après Camillo
dit à François-Xavier
"fuggi a casa e serra le tue porte, rentre chez toi et ferme tes
portes" et à ces mots François-Xavier
courut chez lui, tandis que Valerius
et Zampaglino
se réfugient chez Casanova.
François-Xavier
arrive chez lui en même temps que son oncle à la mode de Bretagne Giovan-Felice
Panzani qui vient de quitter Giovan-Battista
Susini fils du juge Giacomo-Antonio,
et que les gendarmes qui ont fuis (considérant qu'ils ne sont pas assez
forts
pour repousser la force qui leur était opposée, ni pour parvenir à
l’arrestation des criminels, ni pour rétablir la tranquillité)
atteignent le
lieu-dit 'Vignarella' sur le chemin qui mène de Ste-Anne à la caserne.
Anton-Francesco
Ortoli est alors à sa fenêtre du premier étage d'où il a vu François-Xavier
rentrer chez lui, puis il voit le même et Anton-Maria
sur le balcon de la galerie déchargeant leurs fusils à deux coups sur
Ste-Anne.
En ce moment Paolo-Francesco
Ortoli blessé tente de rentrer chez lui, et craignant que les tirs
de la
maison Pietri
ne s'oriente sur son frère Anton-Francesco
saisit un tromblon à défaut d'autre arme et le décharge contre la dite
maison Pietri.
L'arme le rejette par terre (contusion à l'avant bras).
Plusieurs individus, sans appartenir ni à la garde nationale ni à la
gendarmerie, participent aux échange de tirs qui suivent les
fusillades. On a
déjà vu le juge Giacomo-Antonio
Susini et ses fils qui s'étaient armés avant même que le premier
coup de
feu n'ait éclaté à Ste-Anne, ils tireront régulièrement notamment de la
place
du couvent et du couvent. De même on tire et tirera de chez Giovan-Tomaso
Susini. Il y a également Giovan-Battista
Susini de Barnabe qui juste après la fusillade se poste derrière un
cerisier au lieu-dit 'Vignarella' et tire sur Elisa
Durazzo, avant de se rendre au couvent d'où il tire à nouveau
contre la
même personne. Faut-il voir dans cette mobilisation des Susini la
volonté de
venger les assassinats de 1814 et 1816 déjà cités?...
En début d'après-midi, alors que
les
bruits des coups de feu retentissent toujours à Sartène, le sous-préfet
Péraldi
débarque à Propriano. Il y a un entretien avec le receveur des douanes monsieur
Emilj qui lui suggère de ne pas se rendre à Sartène, invoquant que
l'annonce de son retour était la cause des troubles qui s'y produisent
depuis
le matin et que son entrée effective dans la ville ne pourrait
qu'aggraver,
argument qu'il rejette estimant au contraire que son arrivée en tant
que
sous-préfet calmerait les esprits. Péraldi
et son escorte d'une centaine d'hommes prennent la route de Sartène. En
chemin
une partie de son escorte, issue des villages de Viggianello, Bilia,
Sorbollano, Levie, Serra, Quenza, Olmiccia, Ste-Lucie, le quitte pour
rentrer
dans leurs pays, tandis que Paolo-Francesco
RoccaSerra, qui ne le voyant pas arriver avait quitté 'li
Stanteri', le
rejoint. C'est à 16h, accompagné d'une vingtaine d'hommes et aux bras
de l'ex
sous-préfet par intérim Vincent
Ortoli de Tallano et de Paoluccio
RoccaSerra, que Péraldi
arrive à la fontaine à l'entrée de Sartène, par mesure de sécurité on
lui fait
faire un détour par le jardin de Jean
Durazzo de Campo-Moro pour déboucher à Ste-Anne où il se rend
directement
dans ses appartements chez Giovan-Paolo
Durazzo. Dans la soirée Péraldi
entame une série d'entretiens avec, entre autres, le capitaine du 10ème
régiment d'infanterie en garnison à Sartène Armand-François
Gillet de Laumont (qui dans la matinée avait annoncé au maire comme
à Anton-Pier-Andrea
que par soucis de neutralité il ne souhaitait pas intervenir dans
l'opposition
entre les deux partis) et Ugo-Vincentello.
Le 17 vers 9h, Anton-Pier-Andrea
ayant refusé de rendre la clef du bureau de la Sous-préfecture (pendant
deux
courriers, Anton-Pier-Andrea
et Camille
Pietri s'empareront des lettres et paquets adressés au
sous-préfet), le
sous-préfet, le maire et le juge de paix Paolo-Maria
Susini s'apprêtent à forcer la porte lorsqu'une première détonation
se fait
entendre. Devant sa maison Paoluccio
RoccaSerra, ayant pris congé de Anton-Santo
Mancini qui est venu lui rendre visite, entame une discussion avec
le
berger de l'Ortolo Paul
Tramoni, lorsqu'il entend aussi l'explosion. Interpellé de la
maison de Tatello
RoccaSerra à ce sujet il répond que le coup semble venir de la
fenêtre dite
'fenestrone' du couvent et qu'il pense qu'il visait Cento-parole
RoccaSerra. A peine a-t-il fini sa phrase qu'un second coup
l'atteint. Le
médecin Giuseppe-Maria
Peretti aussitôt appelé constate "une contusion avec une légère
excoriation à la partie moyenne de la clavicule droite, et une petite
excoriation à la mâchoire droite tout près du menton. Le coup
paraissait être
parti du haut en bas, et produit par une balle".
Vers 10h sur la place Ste-Anne Bisentelluccio
RoccaSerra distribue des balles aux bergers qui sont restés.
La maison Ortoli
continuant de faire feu contre la maison Pietri,
François-Xavier
Pietri demande au maréchal des logis Sabiani
de se rendre avec son oncle Panzani
auprès de Anton-Pier-Andrea
pour l'inviter à cesser le feu. Sabiani
s'y rend finalement seul, et quand Ortoli
lui dit que de chez Pietri
l'on a tiré la veille et que l'on tire encore, il peut attester, car
logeant à
la caserne de la gendarmerie qui se trouve dans la maison Pietri,
qu'on n'a point fait feu ce jour. L'ex faisant fonction de sous-préfet
se plie
à l'évidence et cesse de tirer contre la maison Pietri.
Ce même jour Sebastiano
Pietri décède des suites de sa blessure, la veille il avait dit à
ses
frères qu'il pardonnait à ceux qui lui avaient donné la mort.
Pendant trois jours, la ville
semble
déserte. Les hommes qui ne sont pas chez eux sont cachés derrière des
barricades, et le seul signe de vie se résume au son des détonations.
Le matin
du 20 septembre, le capitaine au 2ème de ligne en garnison à
Ajaccio
Pierre-Isidore
Joly sur ordre du général commandant la division arrive avec deux
compagnies pour prendre le commandement des troupes qui s'y trouvent. A
son
arrivée, accompagné du capitaine Gillet
de Laumont, il se rend chez le maire pour l'informer de ses
intentions. Ugo-Vincentello
leur dit en substance "je vois avec plaisir arriver la troupe de
ligne.
Vous voici pour rétablir la tranquillité, j'espère qu'elle se
rétablira, mais
s'ils ne sont pas content nous avons des hommes qui sont cachés là
haut, et que
vous ne voyez pas. Je puis en moins de vingt quatre heures rassembler
mille
hommes pour les écraser. Si la justice s'en mêle, cela deviendra une
affaire
particulière. Nous sommes plus fort qu'eux et nous les arrangerons".
Quelques instants après, la garde nationale cède au capitaine Joly
les positions occupées à savoir le couvent et le clocher de l'église.
Dans le
même temps Paoluccio
RoccaSerra cède la chapelle au lieutenant de gendarmerie Jean
Simoni, arrivé dans la matinée de Ste-Marie-et-Siché avec douze
hommes. Le
lieutenant prend aussi un arrêté par lequel il ordonne aux étrangers de
sortir
dans la journée de la ville. Ainsi le calme se rétablit sans heurts.
Dès le 16 septembre et pendant
trois
jours le substitut du procureur du roi prés le Tribunal de 1ère
instance de Sartène Giovan-Paolo
Bradi assisté du marechal des logis Sabiani
procèdent à l'audition des blessés et au constat de leurs blessures.
Peu après Péraldi
démissionne, l'autorité remet les fonctions de sous-préfet à monsieur Ornano,
et le 3 octobre Péraldi
quitte Sartène. Le 11 octobre le conseiller prés la Cour royale de
Bastia
faisant fonction de juge d'instruction Jean-Pascal
Capelle commence l'instruction (la dernière audition aura lieu le
19
février 1831). Les inculpés au nombre de quinze sont déjà connus:
Ugo-Vincentello
RoccaSerra
Anton-Francesco
dit Coppio Durazzo
Geronimo
RoccaSerra fils de Paoluccio
Pietro
Pietri
Anton-Goffredo
dit Tatello RoccaSerra
Filippino
RoccaSerra
Paolo-Francesco
dit Sialagone RoccaSerra fils de Tatello
Giovan-Paolo
Durazzo
Policarpe
Durazzo
Ignazio
Durazzo
Paolo-Francesco
II RoccaSerra frère de l'ex-Maire
François-Xavier
Pietri
Anton-Maria
Orsini
Jean-Baptiste
Lucchini laboureur et berger demeurant à Croce d'Albitro
Simon
dit Bongiorno Codaccioni berger demeurant à Conca
mais 'ils ont pris le maquis' (Ugo-Vincentello
s’est réfugié à Ajaccio, Policarpe
à Livourne...).
Malgré les lettres qu'il reçoit
de son
frère Bisentelluccio
l'informant qu'une instruction est en cours (contre l'avis du
sous-préfet Ornano
qui avait réclamé une amnistie), qu'un mandat d'amener risquait d'être
lancé à
son encontre et lui conseillant de se cacher à Bastia ou chez son
beau-frère à Vico, Ugo-Vincentello
RoccaSerra refuse de fuir. Le 18 un mandat d'amener est
effectivement lancé
et le 20, après avoir été arrêté à Ajaccio, il est déjà emprisonné dans
la
caserne de la gendarmerie de Sartène et interrogé avec le chef
d'inculpation
"d'avoir le seize septembre dernier, dans la ville de Sartene, au
quartier Ste Anne, et des fenêtres de la maison d'Antoine-Geoffroy
RoccaSerra dit Tatello, tiré des coups d'arme à feu sur une
patrouille de
la Garde Nationale et de la Gendarmerie réunies; et d'avoir aussi
participé
comme auteur, fauteur ou complice aux faits qui ont amené la mort de Sebastien
Pietri et d'Antoine-Jean-Paul
Susini, et les blessures plus ou moins graves reçues par Brocas,
Chabrand,
Paul-François
Ortoli, Jacques-Alphonse
Susini et Jacques-Andre
Ortoli".
Le berger Jean-Baptiste
Lucchini est lui aussi arrêté et quand un lieutenant de gendarmerie
lui
demande s'il sait pourquoi il est arrêté, il répond que l'ex-maire, de
consentement avec Paoluccio
RoccaSerra voulaient faire tomber sur lui les torts qui pesaient
sur le
premier et sur le fils du second, et il ajoute "ô Vincentello
RoccaSerra, ô Vincentello
RoccaSerra, tu nous a appelé pour faire tes vendanges et au
contraire,
c'était pour nous compromettre". A Bastia lors de son transfert de
la
prison au Palais de justice pour être interrogé, le même Jean-Baptiste
Lucchini accompagné de gendarmes est accosté par deux personnes
habillées
en noir qui lui lancent en riant "eh bien comment te portes-tu",
probablement des proches des RoccaSerra-Durazzo voulant mettre la
pression sur
le berger.
III Les
procès
L'arrêt de la Cour de Bastia du
14 mars
1831 met en accusation treize des quinze inculpés, les deux bergers
étant
blanchis par manque d'indices de culpabilité:
Expédition de l'arrêt qui ordonne la mise en accusation d'Hugues-Vincentello
RoccaSerra ex Maire et consorts tous demeurants à Sartène
Louis
Philippe, Roi des français à tous présents et à venir salut
De Corse chambre des mises en accusation séant à Bastia a rendu sur le
rapport
fait par Mr Cabet
procureur général à la Cour Royale des mises en accusation, séant à
Bastia, de
la procédure instruite contre Hugues-Vincentello
RoccaSerra ex Maire de Sartène, secondo, Antoine
-François Durazzo dit Coppio, terzo Jerôme
RoccaSerra fils de Jean Paul, quarto Pierre
Pietri [ ] Antoine
Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, sesto Philippe
Rocca Serra, settino Paul
François fils de Tatello, ottavo Jean
Paul Durazzo, nono Etienne
Policarpe Durazzo decimo Ignace
Durazzo, undecimo Paul
François Rocca Serra frère de l'ex Maire duadecimo François
Xavier Pietri, decimo terzo Antoine
Marie Orsini propriétaires demeurant à Sartène, decimo quarto Jean
Baptiste Lucchini berger demeurant à Croce d'Albitro, decimo quinto
Simon
Codaccioni berger demeurant à Conca, inculpés d'assassinat, de
tentative
d'assassinat, de rebellion à main armée envers la force publique:
Vu par la Cour toutes les pièces du procès dont il a été donné lecture
par le
commis greffier et qui ont été laissées sur le bureau: Vu pareillement
la
réquisition écrite et signée de Mr Cabet
Procureur général, qui après l'avoir déposée sur le bureau s'est
retiré, ainsi
que le commis greffier, la dite réquisition tendant à ce qu'il plaise à
la Cour
déclarer qu'il y a lieu de renvoyer tous les dits inculpés devant la
Cour
d'assise du Dept de la Corse, séant à Bastia pour y être jugés
conformément à
la loi à raison des crimes qui leur sont imputés; ordonner qu'il sera
contre
chacun d'eux décerné une ordonnance de prise de corps en vertu de la
quelle les
dits inculpés seront transférés dans la maison de justice établie près
de la
dite cour d'assise.
Après en avoir délibéré sans [ ] attendu qu'il
résulte
de la procédure que la ville [ ] depuis
quelques
[ ] divisé en deux partis, ayant pour
[ ] famille d'Antoine
Pierre André [ ] Rocca Serra
et des
Durazzo [ ] ces deux partis en présence
[ ] dispositions hostiles qui avaient
[ ] opposées des rivalités d'amour propre
des
opinions [ ] moins divergentes et
d'anciennes
inimitiés, que dans le courant d'aout 1830, le sieur Antoine
Pierre André Ortoli ayant été chargé de l'intérim de la sous
préfecture en l'absence du sieur Peraldi
titulaire reçut l'ordre d'organiser une garde nationale à Sartène que
le sieur Hugues
Vincentello Rocca Serra, Maire de la ville et l'un des chefs
du
parti Rocca Serra-Durazzo, exprima hautement
[ ]
dans deux lettres adréssées au Préfet
la répugnance que lui inspirait [ ]
prescrite par
ce fonctionnaire que le sieur Ortoli,
en sa qualité de faisant fonctions de sous Préfet, procéda à
l'organisation de la
garde nationale malgré l'opposition et sans le concours du Maire;
que dès ce moment les Rocca Serra et les Durazzo ne voulurent point
reconnaître
la dite garde, la qualifiant de bande de factieux, de séditieux et de
rebelles.
Que le quinze septembre le bruit se répandit dans la ville que le sieur
Peraldi
devait débarquer le lendemain à Propriano pour retourner à Sartène,
qu'en effet
le Maire
l'avait engagé à revenir, qu'à cette occasion les Rocca Serra et les
Durazzo,
dont le sieur Peraldi
était l'ami et le locataire, avaient appellé à Sartène des campagnes
voisines
un grand nombre d'hommes armés pour aller prendre le sous
Préfet au lieu de débarquement et l'amener à la ville
accompagné de
cet appareil imposant; que le seize au matin le quartier Sainte-Anne,
habité
par les Rocca Serra et les Durazzo, était rempli de paysans armés
portant des
fusils, des pistolets et plusieurs des stilets à découvert; que la plus
part
d'entr'eux descendirent à Propriano; que ceux qui restèrent à Sartène
se
placèrent dans les maisons qui environnent la place Sainte-Anne et à ce
qu'il
paraît aussi dans la chapelle. Que cependant le commandant de la garde
nationale avait fait battre le rappel pour la réunion. Que le Maire
arrêta le tambour
de la garde, quand il passait par le quartier Sainte-Anne,
escorté
de deux gendarmes et battant le rappel; qu'on le menaça et que la
caisse lui
fut enlevée. Que dans ces circonstances la garde nationale résolut de
faire une
patrouille autour de la ville, en passant par le chemin processionnale
qui
traverse la place Sainte-Anne ou demeurent les Rocca Serra et les
Durazzo; que
ceux-ci rassemblés presque tous armés sur place Sainte-Anne en
apprenant
l'intention de la garde manifestèrent [
], et
menaçant la détermination [ ] dans leur
quartier
disant: Nous avons assez souffert assez d’humiliations, nous ne voulons
plus en
souffrir. Si la garde nationale vient à Sainte-Anne nous ferons feu sur
elle.
[ ] que tout
[ ]
qu'ils formèrent [ ] le desseins
[ ] leurs menaces dans le cas ou la
patrouille
aurait bien comme il était dit que des pourparlers s'établirent à ce
sujet
entre les deux partis; Mais que toutes médiations devinrent inutiles.
Que
malgré les efforts des médiateurs, la garde nationale de son côté n'en
persista
pas moins à executer son projet de faire le tour de la ville, disant
qu'elle faisait
une patrouille necessaire afin de veiller au bon ordre pour le maintien
[ ] elle avait été organisée, et qu'elle
avait le
[ ] de parcourir le quartier Sainte-Anne comme
les
autres quartiers de la Commune que la garde nationale après avoir reçu
les
ordres du commandant Rosolani
qui lui enjoingnit de se conduire avec la plus grande modération et de
supporter même les injures verbales, se mit en marche et se dirigea de
la place
de Porta vers la place Sainte-Anne qu'elle avait à traverser, qu'elle
était
composée de trente à trente cinq hommes presque tous officiers dans la
dite
garde accompagnée de six gendarmes et deux marechaux de logis de
gendarmerie
dont ce faisant
fonctions de sous Préfet avait requis l'assistance, précédée
et suivie
d'une foule d'enfants et de quelques curieux; qu'elle marchait en ordre
et en
silence, sans drapeau ni tambour, tenant le fusil au port de sous
officiers.
Que les Rocca Serra et les Durazzo la virent approcher; que l'un d'eux Ignace
Durazzo cria aussitôt: aux armes: que quelque
[ ] auparavant un autre d'entr'eux, Paul
François Rocca Serra avait crié à Anton
François Durazzo dit Coppio cours aux créneaux; que dans le
moment
ou la garde nationale était engagée au milieu de la place ayant
derrière elle
la maison de Tatello,
celle de la veuve Durazzo
mère d'Antoine
François, et celle de Policarpe
Durazzo; à gauche et un peu derrière la maison de Jean
Paul et d'Ignace
Durazzo; à gauche et à côté la maison du Maire;
à gauche et au devant la maison de Palluccio
RoccaSerra; en face un vieux batiment dit chapelle
Sainte-Anne
appartenant au dit Palluccio;
enfin à droite, la maison de l'ex Préfet Pietri;
que dans ce moment dirons nous et dans cette position un premier coup
d'arme à
feu, qui paraissait être le signal, fut tiré contre la dite garde de
l'une des
maisons des Durazzo, que le premier coup vint frapper Sebastien
Pietri qui commandait la patrouille et qui tomba
mortellement
blessé; qu'une vive fusillade sortit instantanément de toutes les
maisons du
quartier Sainte-Anne ci-dessus indiquées; ainsi que de la chapelle;
qu'une
seconde décharge suivit bientôt après que ces coups de feu partirent
aussi des
maisons déjà désignées et de plus de la maison de l'ex Préfet Pietri;
que la gendarmerie cria vainement respect à la loi; qu'après avoir
riposté par
plusieurs coups de fusils la patrouille disposée prit la fuite; que
dans cette
déplorable circonstance Antoine
Susini dit Bongiorno fut blessé aussi mortellement; que Paul
François Ortoli, Jacques
André Ortoli, Jacques
Alphonse Susini, gardes nationaux; Jean
Brocas et François
Chabrand gendarmes, reçurent des blessures plus ou moins
graves;
qu'il est constant que pendant la fusillade les inculpés se trouvaient,
savoir Hugues
Vincentello, Antoine
Geoffroid, Philippino,
Paul
François, tous Rocca Serra, Antoine
François Durazzo dans la maison de la veuve Durazzo,
sa mère, Polycarpe
Durazzo, dans sa maison Jean
Paul et Ignace
Durazzo dans la maison du dit Jean Paul; Jean
Baptiste Lucchini et Simon
Codaccioni dans la maison du Maire;
Jerome
Rocca Serra dans la maison de Pallucio son père, François
Xavier Pietri et Antoine
Marie Orsini dans la maison de l'ex Préfet Pietri;
Paul
François Rocca Serra frère du Maire dans la maison de ce
dernier ou
dans celle de la veuve Durazzo;
que même suivant les dépositions d'un grand nombre des témoins,
quelques uns
des dits inculpés auraient été vus dirigeant des coups de fusils contre
la
garde nationale; attendu que tout ce qui précède et notament les
menaces
proférées par les Rocca Serra et les Durazzo, le cris aux armes, à
l'approche
de la garde nationale l'explosion instantanée et simultanée des coups
de fusils
sortits de toutes les maisons habitées par les inculpés après avoir
laissé la
dite garde s'engager au milieu de la place, tout cela démontre que les
inculpés
avaient formé d'avance entr'eux le dessein de faire feu sur la garde si
elle passait
dans le quartier Sainte-Anne et l'attendaient au passage pour exécuter
ce
dessein; attendu que la garde nationale avait été organisée de la
manière la
plus régulière possible dans les circonstances du moment, que pour
suppléer le Maire
opposant, on avait créé une commission formée de citoyens notables qui
présentaient toutes les garanties que le faisant
fonction de sous Préfet en organisant la garde s'était
d'ailleurs
conformé aux instructions qu'il avait reçu de l'autorité supérieure,
qu'elle
devait être dès lors considérée comme une force publique légitime dans
son
origine tutélaire dans son [ ]
respectable dans
son action; qu'au reste en faisant la patrouille le seize septembre, la
dite
garde était accompagnée de la gendarmerie agissant pour l'exécution des
ordres
du premier [ ] de l'arrondissement.
Attendu que
les faits ci-dessus et les autres circonstances contenues dans la
procédure
établissant des charges suffisantes contre Hugues
Vincentello Rocca Serra, Antoine
François Durazzo, Jerôme
RoccaSerra, Pierre
Pietri, Antoine
Geoffroid Rocca Serra, Philippe
Rocca Serra, Paul
François Rocca Serra fils d'Antoine Geoffroid, Jean
Paul Durazzo, Etienne
Policarpe Durazzo, Ignace
Durazzo, Paul
François Rocca Serra frère d'Hugues Vincentello, François
Xavier Pietri, et Antoine
Marie Orsini d'avoir le seize septembre 1830, à Sartène,
ensemble et
de de complicité, à l'aide de plusieurs armes à feu, 1° donné
volontairement
avec préméditation et guêt apens la mort à Sebastien
Pietri et Antoine
Susini dit Bongiorno, secondo
[ ] de
donner volontairement et aussi avec préméditation et guêt-apens la mort
à Paul
François Ortoli, Jacques
André Ortoli, Jacques
Alphonse Susini, Jean
Brocas et François
Chabrand ainsi qu'aux individus formant une patrouille
composée de
gardes nationaux et de gendarmes, tentative qui ayant été manifestée
par des
actes d'intérieur et suivie d'un commencement d'exécution n'a manqué
son effet
que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de
[ ]; terzio attaqué avec violence et
voyes de
fait en réunion armée de [ ] de trois
personnes
la force publique agissant pour l'exécution des ordres de l'autorité
publique
fait [ ] constituent les crimes prévus
par les
articles deux cent quatre vingt quinze, deux cent quatre vingt seize,
deux cent
quatre vingt dix sept, deux cent quatre vingt dix huit, deux cent neuf,
deux
cent onze, cinquante neuf et soixante du Code pénal. Attendu
relativement à Jean
Baptiste Lucchini et Simon
Codaccioni, qu'il n'existe pas au procès d'indices
suffisants de culpabilité;
par ces motifs la Cour dit qu'il n'y a pas lieu à suivre contre Codaccioni
et Lucchini
annulle en conséquence le mandat d'arrêt décerné contre le premier,
ordonne que
le second qui est détenu sera mis sur le champ en liberté; ordonne la
mise en
accusation de primo Hugues
Vincentello Rocca Serra ex Maire de Sartène, 2° Antoine
François Durazzo dit Coppio, 3° Jerome
Rocca Serra fils de Jean Paul, 4° Pierre
Pietri, 5° Antoine
Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, 6° Philippe
Rocca Serra, 7° Paul
François Rocca Serra fils de Tatello, 8° Jean
Paul Durazzo, 9° Etienne
Policarpe Durazzo, 10° Ignace
Durazzo, 11° Paul
François Rocca Serra frère de l'ex Maire, 12° François
Xavier Pietri, 13° Antoine
Marie Orsini; renvoie en conséquence les inculpés dénommés
ci-dessus
devant la Cour d'assise du département de la Corse séant à Bastia, pour
y être
jugés conformément à la loi sur les crimes qui leurs sont imputés.
Ordonne en outre que le dit Hugues
Vincentello Rocca Serra, âgé de quarante un ans ex Maire détenu, Antoine
François dit Coppia, Jerôme
Rocca Serra fils de Jean Paul, Pierre
Pietri, Antoine
Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, Philippe
Rocca Serra, Paul
François fils de Tatello, Jean
Paul Durazzo, Etienne
Policarpe Durazzo, Ignace
Durazzo, Paul
François Rocca Serra frère de l'ex Maire, François
Xavier Pietri, et Antoine
Marie Orsini contumaces, tous propriétaires demeurant à Sartène
seront pris
au corps, comme suffisamment prévenus des crimes ci-dessus spécifiés,
et
conduits dans la maison de justice, établie près la dite Cour d'assise
du
département de la Corse, où ils seront écroués par tout huissier requis.
Fait en Chambre du Conseil à Bastia le quatorze mars mil huit cent
trente
un, présents Messieurs Pasqualini
Président, Arena,
Capelle,
Gavini,
Limperani
conseillers, Messieurs Arena,
Gavini
et Limperani
ayant été appellés pour compléter la Chambre en remplacement de
Messieurs Galeazzini
et Susini
absents, Giordani et Graziani légalement empêchés et Marcillese qui a
déclaré
s'abstenir et dont la Cour a approuvé les motifs de récusation.
Lesquels
Magistrats siégeant ont signé avec le commis greffier. Signé: Pasqualini,
Arena,
Capelle,
Gavini,
Limperani
et Guasco
commis greffier. Mandons et ordonnons à tous huissiers sur ce requis de
mettre
à exécution le présent arrêt à nos Procureurs généraux et à nos
Procureurs près
les tribunaux de première instance d'y tenir la main à tous commandants
et
officiers de la force publique de prêter main forte, lorsqu' ils en
seront
légalement requis.
En foi de quoi le dit arrêt a
été
signé par le Président conseiller de la dite Cour et par le commis
greffier.
Pour expédition conforme délivrée à Monsieur le Procureur général.
Le greffier en chef de la Cour Royale de la Corse.
Signé: P F Ottavi
Suit l'acte d'accusation
Ugo-Vincentello
RoccaSerra est renvoyé seul en Cour d'assises en mai 1831, après
onze jours
d'audience, il est acquitté. Le 7 juin de la même année Policarpe
Durazzo, de retour de Livourne où il s'était réfugié, est arrêté
dans la
demeure de Paoluccio
RoccaSerra, traduit devant la Cour d'assises en septembre il est
également
acquitté.
Le 23 octobre 1831, Giovan-Battista
Susini, dont le frère Anton-Giovan-Paolo
avait trouvé la mort à Ste-Anne, aperçoit Bisentelluccio
Rocca Serra traversant la place de Porta et se poste, armé, à
l'entrée de
la maison de Anton-Pier-Andrea
Ortoli. Bisentelluccio
alerté se tapit derrière un mur en face de la caserne des voltigeurs et
sort
son pistolet d'arçon. Des militaires alertés par le remue-ménage
viennent à son
secours et le ramènent sous bonne escorte à son domicile. Le
surlendemain le
capitaine de gendarmerie écrit au préfet
"j'ai lieu de craindre que tôt ou tard les deux partis qui divisent
Sartène en viennent aux mains".
Les deux acquittements poussent
les
autres coaccusés à se rendre à la justice dès l'automne. La partie
civile
invoque la suspicion légitime, suivie par le procureur général de
Bastia qui
demande à la Cour de cassation de les renvoyer devant une Cour
d'assises du
continent. Les santanninchi contre-attaquent en décembre:
A
la Cour de Cassation
Section criminelle,
Les
accusés de Sartène
Veut-on ou ne veut-on pas le jury pour la Corse? C'est la véritable
question
du procès; celle que nous inspirent les demandes en renvoi pour cause
de
suspicion légitime, sans cesse renouvelées devant la Cour suprême.
Naguère
encore, ma voix réclamait en faveur d'un des meilleurs citoyens de la
Corse,
Monsieur Biadelli,
le droit commun et de ses juges naturels; les grands mots d'intérêt
public, de
mœurs du pays, de dépendance du jury, d'influences patriciennes se
firent
entendre avec tant d'éclat, le tableau de l'impuissance des juges en
présence
d'un accusé tout-puissant par ses relations et sa famille, fut présenté
avec
tant d'énergie, que la Cour dût craindre un acquittement scandaleux
pour un
grand coupable; nos efforts furent vains; Monsieur Biadelli
fut renvoyé devant la Cour d'assises de l'Hérault. Qu'arriva-t-il, son
innocence fut proclamée au milieu des applaudissements de l'auditoire;
un
véritable triomphe le dédommagea d'une longue persécution, et son
retour dans
sa ville natale fut une fête publique. La justice ne veut ni ce faste,
ni ces
ovations. Je cherche vainement ce qu'on a gagné à renvoyer sur le
continent le
jugement des crimes commis dans le département de la Corse. Jusqu'à ce
jour,
tous les accusés ont été acquittés; qu'aurait fait le jury en Corse? Et
cependant le cours ordinaire de la justice a été interrompu; des
citoyens
innocents ont subi une longue détention; ils ont été contraints de
venir
implorer jugement loin de leur famille, de leurs amis, des
consolations, si
douces dans le malheur et la captivité, et le trésor public a subi
d'énormes
dépenses, sans avantage pour le pays.
Il semble qu'on veuille réduire le jury en Corse à ne juger que les
voleurs, encore
faudra-t-il que les voleurs ne soient pas de bonne maison.
J'appelle toute l'attention de la Cour sur cette tendance, avant de
l'appeler
sur l'affaire même dont nos adversaires réclament aujourd'hui le renvoi
sur le
continent. Pendant que la Corse vivait sous l'empire des lois
exceptionnelles,
l'opposition en France et tous les hommes généreux réclamaient pour
elle la
protection du jury; on en était venu au point de soutenir devant la
Cour que
les condamnations prononcées sans les jurés étaient illégales.
Aujourd'hui, que
la révolution de 1830 a donné le jury à ce département, faudra-t-il que
chaque
accusation importante amène une exception nouvelle? Quelle idée la
Corse
aura-t-elle de ses jurés, si elle voit que la méfiance les poursuit, et
que la
justice souveraine de la Cour ne croit pas pouvoir leur confier le sort
des
accusés qui ont une fortune, une position sociale, une famille? Quelle
élévation, quelle dignité pourraient acquérir les jurés eux-mêmes s'ils
se
voient l'objet d'une suspicion constante, si l'idée de leur justice
alarme la
plus haute magistrature?
Le crime doit être jugé, doit être puni sur le lieu même où il jeta le
deuil et
l'épouvante: le criminel doit subir le supplice là où il osa frapper sa
victime. La justice, c'est la force et le droit; elle perd son
caractère et sa
haute influence, quand elle semble reculer devant la puissance d'un
accusé.
La loi veut donc que l'accusé, dans l'intérêt public, soit jugé sur le
théâtre
du crime; elle le veut aussi dans l'intérêt de l'accusé. Il a droit à
ses juges
naturels, au jugement de ceux qui le connaissent et devant lesquels il
peut
invoquer sa vie passée en témoignage; lui ravir ce droit, c'est lui
ravir une
partie de sa défense. Respect à la défense!
Deux exceptions à ce grand principe ont été posées par la loi même. Ces
exceptions, elle se borne à les énoncer, sans les définir: sûreté
publique,
suspicion légitime. La première magistrature du royaume balance les
droits de
l'accusé et les alarmes de la société; il y a, dans ce haut tribunal,
trop
d'indépendance et trop de lumières pour que cet immense pouvoir
dégénère en
abus.
Sûreté publique
Un crime horrible a soulevé dans une contrée l'indignation publique;
le
peuple irrité réclame, pour expier le forfait, la tête d'un accusé qui
proteste
de son innocence. La justice ne sera pas libre: la sûreté publique
exige le
renvoi devant un tribunal que le peuple ne puisse pas intimider.
Le crime commis est un crime politique. La population entière, si elle
n'applaudit pas au meurtre consommé favorise le coupable. Sa
condamnation peut
exciter les troubles les plus graves: la sûreté publique exige le
renvoi devant
un tribunal que le peuple ne puisse pas entraîner.
A ces grands traits, on reconnaît l'impérieuse nécessité. Si la liberté
de
condamner ou d'absoudre est ravie au juge, il n'y a pas de décision
possible.
La loi ne permet qu'au Ministère public de réclamer le renvoi pour
cause de
sûreté publique; c'est une garantie de plus pour la société, pour
l'accusé
lui-même.
Suspicion légitime
Avec le jury, les causes de suspicion légitime doivent être bien
rares.
Comment, en effet, soupçonner de faiblesse ou de violence une réunion
nombreuse
de citoyens pris dans les classes les plus indépendantes de la société?
Cependant, si la population entière d'un département a témoigné une
grande
faveur pour l'accusé, ou si elle a manifesté contre lui un violent
esprit de
haine; si le meurtre a été commis par des hommes ou contre des citoyens
dont
l'influence et la position dominait la contrée; on le sent, il peut y
avoir
suspicion légitime, contre les jurés même.
Mais que la mission de la Cour est alors difficile et délicate! Quand
la loi
remet à des jurés le sort d'un accusé, son but est de le confier à des
hommes
qui, habitant en quelque sorte les mêmes lieux que le prévenu, que la
victime,
peuvent se faire des idées plus justes, plus positives, sur tous les
faits de
l'accusation ou de la défense. Si l'on fouille si avant dans les
relations,
dans les liens, dans les habitudes des jurés, où s'arrêtera-t-on pour
tracer la
ligne? Magistrats, une seule réflexion doit tout dominer! Le jury pris
sur les
lieux mêmes, les juges naturels, voilà pour l'accusé la plus sûre
garantie,
voilà pour la société le tribunal le plus roi.
Ces principes posés, examinons la
cause
et jugeons de l'opportunité de la demande.
Le crime, s'il y eut crime, fut commis au mois de septembre 1830,
quinze mois
se sont écoulés!
La révolution de Juillet avait remis la couronne à un Roi populaire; la
Corse
avait accueilli avec enthousiasme la nouvelle des trois journées et de
leur
résultat. Sartène avait alors pour maire Vincentello
Roccaserra, l'un des compagnons d'exil de Napoléon
à l'Ile d'Elbe. Roccaserra,
dès le 12 août, avait publié une proclamation pleine de sagesse et de
patriotisme.
Péraldi,
sous-préfet, se trouvait en congé à Ajaccio lors des grands événements;
ses
fonctions avaient été temporairement déléguées à Vincent
Ortoli, membre du Conseil d'arrondissement. Il les conserva jusque
vers le
milieu du mois d'août. Il se retira dans ce moment, et fut remplacé par
Antoine-Pierre-André
Ortoli choisi par le préfet
provisoire au sein du Conseil d'arrondissement. Une partie de la
population de
Sartène, excitée par les Ortoli avait conçu le projet de s'opposer au
retour de
Péraldi.
Le 10 août le bruit s'était répandu qu'il était rentré dans la ville.
Des cris
de fureur s'étaient fait entendre, des attroupements s'étaient formés;
mais
tout s'était calmé à la voix du président Nasica
et du procureur du Roi Fournery.
Péraldi
logeait au quartier Sainte-Anne, dans la maison de Jean
Paul Durazzo, l'un des accusés.
Le 8 du mois de septembre, la
nouvelle du
prochain retour de Péraldi,
confirmé dans ses fonctions par le gouvernement de Louis-Philippe,
commençait à se répandre dans Sartène. Antoine-Pierre-André
Ortoli et les siens combinèrent un projet important: le préfet
avait écrit dans le mois d'août à Vincent
Ortoli de se consulter avec le maire
pour décider si l'organisation d'une garde nationale serait utile au
pays.
Aucune suite n'avait été donnée à cette pensée, parce que Roccaserra
et Vincent
Ortoli savaient bien qu'il y aurait danger à cette organisation.
Le 8 septembre, quand il vit le pouvoir prêt à lui échapper Antoine-Pierre-André
Ortoli entraîné par de mauvais conseils veut créer, malgré
l'opposition du maire,
une garde nationale; lui qui avait d'abord écrit que cette création
n'était pas
convenable.
Il affiche une proclamation qu'il n'ose pas même reproduire
aujourd'hui. Il
forme une commission municipale et administrative; il en exclut le maire
et la plupart des habitants les plus notables. Il réunit ensuite deux
cent
cinquante-neuf signatures ou croix, pour en tenir lieu, il relève du
titre de
registre le papier sur lequel il les a ramassées; il réunit trente-six
individus qui se partagent les grades et les emplois; il décore du nom
pompeux
de procès-verbal d'élection cette véritable parade. A un de ses fils
est confié
le commandement suprême, à un autre le titre d'ajudant-major,
à un troisième le grade de lieutenant:
les Rosolani, les Piétri, les Susini, tous parents ou alliés sont
proclamés
après ses fils, et voilà sa garde nationale constituée.
Pendant ce temps, le maire
écrivait, sous la date du 10 septembre au préfet
provisoire une lettre qui peignait exactement la situation du pays. En
voici
des fragments: "La tranquillité la plus parfaite a régné jusqu'à ce
jour
dans notre ville. Nous avons su la maintenir malgré les efforts de
quelques
factieux qui ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour la troubler.
Maintenant
notre situation commence à changer et l'on aperçoit une fermentation
dans les
esprits propre à donner de graves inquiétudes aux hommes qui ne
désirent que la
paix et la tranquillité publique.".
Il raconte:
Que ce changement, dans l'esprit, est dû aux sieurs Antoine-Pierre-André
Ortoli, faisant fonctions de sous-préfet, incapable de diriger une
affaire,
mais entouré d'hommes qui ne se plaisent qu'aux troubles et aux
désordres et
dont il suit aveuglément les perfides conseils.
Le maire
annonce ensuite:
Qu'Ortoli,
informé que le sieur Péraldi
devait rentrer incessamment a créé une commission administrative,
malgré les
avis contraires des hommes les plus marquants dans une réunion où les
vrais
notables n'ont pas été appelés, et il l'a chargée d'organiser la garde
nationale, le maire
non entendu ni consulté.
Le maire
se plaint d'autant plus vivement qu'une garde nationale à Sartène
donnerait des
armes à des hommes dangereux et obligerait au service des personnes qui
ne
peuvent en supporter les charges sans préjudice pour la subsistance de
leur
famille. Les gens de bien et les notables proclament cette vérité. Il
demande
la nullité de toutes ces opérations. D'ailleurs le sous-préfet
provisoire doit
savoir qu'il est sans droits, si le maire
en était requis, il organiserait d'une manière régulière. Du reste,
tant
indigné qu'il est, il a su maintenir l'ordre; mais l'envoi de Monsieur Péraldi
est le seul moyen d'en finir etc…
Le sous-préfet provisoire écrivit
au
contraire le 12 septembre dans les termes suivants: "D'après la lettre
que
vous avez écrite à mon prédécesseur, relativement à l'organisation de
la garde
nationale, je me suis occupé particulièrement de celle du chef-lieu.
Elle est
déjà organisée, elle forme un bataillon au nombre de huit compagnies,
et sous
peu, j'aurai l'honneur de vous transmettre le procès-verbal. Le
meilleur ordre
et la tranquillité ont régné pendant cette opération, malgré les
sinistres
insinuations de quelques personnes qui avaient témoigné l'intention de
la
contrarier.".
Il était d'une haute importance que cette opération de la garde
nationale parût
au préfet
l'expression libre des vœux du pays. Ortoli
trompait l'autorité supérieure quand il annonçait d'avance
l'organisation faite
au nombre de huit compagnies: c'est le 12 qu'il écrivait, le prétendu
procès-verbal d'élection est du 14. Il fut envoyé au préfet
provisoire la lettre suivante: "La garde nationale est enfin organisée,
principalement d'après les bases électives de 1791: je vous adresse les
procès-verbaux, certificats, tableaux, et listes. Le maire
se plaint qu'on l'a exclu de toute participation. La déclaration du
capitaine
de détachement détruit le grief. Par délicatesse, nous ne dirons pas
autre
chose, il y a impossibilité absolue de constituer la force civique
conformément
au vœu de la commune avec un maire
sur lequel je me tais. Fallait-il renoncer après vingt-cinq jours
d'hésitation.
Enfin, j'ai fait intervenir citoyens et notables, vous jugerez si j'ai
bien
fait. Je ne puis m'empêcher de vous exprimer la surprise et
l'admiration dont
je me sens saisi. L'empressement, l'affluence des citoyens à s'inscrire
sur les
registres, le zèle ardent et infatigable de tant de jeunes gens
appartenant à
nos premières familles, le calme et l'ordre parfait ont étonné tout le
monde et
dissipé mille fausses alarmes. On ne doute pas que vous ne vous hâtiez
d'autoriser l'existence d'une garde nationale expression libre et
spontanée du
vœu des habitants. On attend avec la plus vive anxiété; ce sera un jour
heureux: surtout n'attachez pas trop d'importance aux insinuations de
Monsieur
le maire
etc…".
Résumons les faits antérieurs à
la
catastrophe du 16 septembre.
La révolution avait trouvé en Corse la plus entière sympathie; le 12 du
mois
d'août, le maire
de Sartène, ancien compagnon d'exil de Napoléon,
avait appelé ses concitoyens à l'union, à la concorde; il avait arboré
nos
trois couleurs, et, jusqu'aux premiers jours de septembre une
tranquillité
parfaite avait régné dans la population. Le 8 septembre, l'arrivée
prochaine du
sous-préfet Péraldi
est annoncée, le sous-préfet
provisoire lève l'étendard de la rébellion. Sans l'aval du maire,
contre son intention formelle, il crée en quatre jours une prétendue
garde
nationale, aidé dans cet acte d'insubordination par une commission
municipale
administrative qu'il a formé lui-même. Il distribue à ses fils, à ses
parents,
à ses alliés, à ses amis les plus intimes, les grades et les emplois,
et
Sartène présente une ville divisée en deux camps, en deux
gouvernements.
Jusqu'à ce moment, pas un mot, pas une action qui annonce de la part du
maire
des intentions hostiles; il se borne à faire connaître l'état des
choses au préfet
provisoire.
Le 15 septembre au soir un des fils d'Ortoli et le commandant en second
de la
garde nationale ont convoqué, chez le sous-préfet
provisoire, tous les officiers. Là, Camille
Piétri, capitaine, annonce que l'objet de la réunion est l'arrivée
du
sous-préfet Péraldi;
l'on ne doit pas permettre son entrée dans la ville. Susini
propose un terme moyen: il faut que le sous-préfet
entre, mais sans escorte. Paul-François
Ortoli, un des fils du sous-préfet
provisoire, dit qu'il ne doit entrer en aucune manière. Les opinions se
divisant le commandant
renvoie au lendemain pour en référer au comité mais il faut que l'on
soit prêt
au premier coup de tambour. Pierre-Marie
Susini fait en vain les plus vives observations.
Le lendemain, jour indiqué pour l'arrivée du sous-préfet,
dès le matin les gens d'Ortoli, ses dévoués, avaient barricadé la
grande
fenêtre du couvent, placée entre deux autres qui regardent
diagonalement la
place Sainte-Anne, ils avaient placé à travers les barricades des
hommes armés
de fusils; ils s'étaient emparés du clocher qu'ils avaient garni
d'hommes
armés. Epouvantés de ces préparatifs, les croyant destinés contre Péraldi,
le maire
et un bon nombre de ses amis armés, réunis sur la place Sainte-Anne
qu'ils habitent
presque tous, se disposaient à marcher au devant de l'autorité, à
former son
escorte, et à le conduire dans la ville. Cependant ils apprennent que
la garde
nationale s'assemble sur la place Porta, on menace de venir faire
patrouille au
quartier Sainte-Anne. Déjà se présente le tambour
qui bat le rappel. Chef de la police municipale, le maire
ordonne que sa caisse lui soit enlevée. En un instant, la sédition
éclate. On
parle de descendre à Sainte-Anne, de tirer du couvent, le tocsin sonne.
Camille
Piétri crie aux armes. La garde nationale est sur la place Porta en
ordre
de bataille, Capicchia
se distingue, armé d'une hache. La garde nationale marche sur
Sainte-Anne;
vaincue enfin par les supplications de Monsieur le conseiller-auditeur Susini,
elle revient sur ses pas.
Alors des pourparlers s'établissent. On réclame la caisse enlevée au
tambour;
le maire
finit par la remettre au maréchal-des-logis de la gendarmerie, en
disant:
"Tant que je serais maire, la police de la ville m'appartient; qu'on ne
passe plus par la place Sainte-Anne.". Le maire
se rend encore aux prières du juge
de paix, il est convenu qu'ils iront au nombre de deux ou trois
seulement à
la rencontre du sous-préfet.
Ainsi ceux que l'on accuse aujourd'hui ont toujours cédé aux exigences
de
l'attroupement.
Tout paraissait fini; mais quelques jeunes veulent encore faire
patrouille à
Sainte-Anne, en vain le président,
le juge
de paix, le sous-préfet lui-même, invitent et prient, leur voix est
méconnue. De leur côté, le maire
et Paul
Durazzo s'écrient: "C'est pour nous humilier, pour nous insulter
encore. C'est assez d'affronts et d'outrages; nous n'en voulons plus
subir.".
Une voix dit enfin: "Ne passons pas à Sainte-Anne, mais que les
habitants
de Sainte-Anne ne viennent pas sur la place Porta.". Cet avis semble
avoir
tout concilié. Les médiateurs se retirent. Nous le demandons encore,
avant
d'arriver à la catastrophe, qui donc s'est montré, dans cette fatale
querelle,
mauvais citoyen, avide de troubles et de désordres? Et n'est-ce pas une
conduite digne d'éloges que celle du chef de la police, du maire
de la ville, qui, poursuivi par l'illégalité, par la sédition, sous le
nom de sous-préfet
et de garde nationale, se montre ferme sans colère et cède encore
toutes les
fois qu'il croit ramener la tranquillité au milieu de ses concitoyens.
L'ordre
semblait rétabli. Il n'y avait plus d'hommes armés sur la place
Sainte-Anne,
ils s'étaient rendu à Propriano d'où ils ne devaient pas revenir en
armes,
d'après la parole du maire.
Tout-à-coup la gendarmerie est convoquée pour suivre les gardes
nationaux dans
leur patrouille à Sainte-Anne. Arrivés près de la maison Tatello,
à l'entrée de la place, ils arment tous leurs fusils. Près de la maison
de Pauluccio
RoccaSerra, un premier coup de feu part des rangs de la garde
nationale, la
balle passe sur la tête de Madame
Roccaserra, femme du maire
qui était paisiblement sur sa porte, on tire du couvent, on fait feu
des
maisons de toutes parts. Sébastien
Piétri et Antoine
Susini tombent frappés d'un coup mortel. Quelques autres sont plus
ou moins
grièvement blessés.
Tel fut le déplorable résultat de cette malheureuse journée.
Le sous-préfet
arrivé sur le soir, sans escorte, voulut, dès le lendemain, entrer dans
ses
bureaux; Ortoli
en avait gardé les clefs, il refusa de les remettre disant qu'il ne
reconnaissait pas Monsieur Péraldi.
Le juge
de paix allait faire procéder à l'ouverture des portes lorsque deux
coups
de feu, partis du couvent, blessèrent Pauluccio
Roccaserra.
La ville était dans la plus cruelle fermentation, le premier soin du
préfet fut
de désarmer la prétendue garde nationale, de lui défendre tout service,
jusqu'à
ce que l'autorité supérieure eût approuvé son organisation.
Bientôt le calme reparut. Monsieur Péraldi,
ne voulant pas être un sujet de discorde, donna sa démission:
l'autorité remit
ses fonctions non plus au sieur Ortoli,
mais au sieur Ornano.
Une instruction fut ordonnée par la Cour royale et Monsieur Ornano
réclamait une amnistie. La Chambre d'accusation renvoya devant la Cour
d'assises, le maire
et douze autres accusés. Le maire
avait été arrêté, refusant de fuir quoique prévenu qu'un mandat était
lancé
contre lui. Il parut devant les jurés, et l'unanimité prononça son
acquittement. Polycarpe
Durazzo fut traduit aux assises suivantes, et le jury proclama son
innocence. Tous les autres accusés vinrent à leur tour demander
jugement.
Rentrés à Sartène, Roccaserra
et Durazzo
y vivaient paisibles, sans que leur présence eut excité la moindre
inquiétude
dans le pays. Le procureur général, qui n'avait pas cru que la sûreté
publique
dût être compromise, lors du jugement de Roccaserra
et Durazzo,
n'avait pas non plus hésité à faire assigner les témoins pour
l'audience du 9 décembre.
Mais nos adversaires veillaient, ils s'étaient pourvus pour cause de
suspicion
légitime et voilà qu'au dernier instant le Ministère public se joint à
eux. Il
est vrai, nous devons le dire, que sa requête n'est qu'un simple exposé
avec
des conclusions, sans aucun développement.
Telle est la cause.
Quels sont les motifs sur
lesquels se
fonde la demande en renvoi?
Sûreté publique? Non, l'œil le plus clairvoyant n'en découvrirait pas
un mot
dans la requête de Monsieur le procureur général.
C'est donc pour suspicion légitime qu'on réclame. Examinons:
D'abord l'affaire est toute politique. Les demandeurs appartiennent au
parti
national qui a voulu le gouvernement actuel; les défenseurs à l'opinion
contraire.
Réponse: il n'est pas vrai que l'affaire soit politique. Là comme
ailleurs la
soif des places, l'avidité du pouvoir, ont voulu profiter de la
révolution.
Quelques hommes ont pris le masque du patriotisme, ils ont fait sonner
haut des
accusations politiques contre Péraldi;
le préfet, sa famille, voulait s'emparer des emplois et les garder. Péraldi
les gênait, il fallait repousser Péraldi.
C'est de l'intérêt privé, l'intérêt public n'est pour rien dans la
lutte. Dans
tous les cas, là où est la rébellion, là ne saurait être le
patriotisme. Le
premier devoir d'un bon citoyen, c'est l'obéissance aux lois et aux
pouvoirs
établis. Le Roi
avait conservé Péraldi,
ceux qui voulurent lui interdire l'entrée de Sartène étaient rebelles à
la loi.
C'est de la révolte et voilà tout.
Les demandeurs appartiennent au parti national. Prenons garde: Piétri
s'enveloppe dans le manteau d'Ortoli. En 1815 pendant que l'ex-maire Roccaserra
servait Napoléon
en Italie, Piétri
et sa famille s'emparaient, dans l'intérêt de la contre-révolution, de
ce même
couvent qu'ils barricadaient. Au 16 septembre 1830, il recevait du
marquis de
Rivière, en récompense de cet exploit, le grade de sous-lieutenant dans
la légion
corse.
Les Durazzi et Pauluccio
Roccaserra suivaient la même bannière que les Piétri et les Susini.
Comment
devant la Cour suprême vient-on calomnier les opinions d'autrui et
travestir
les siennes?
Les familles des accusés exercent une grande influence dans Sartène!
Réponse: mais depuis le commencement de cette malheureuse affaire, les
Ortoli
et leurs adhérents ont déclaré dans tous leurs écrits que toute la
population
était pour eux, elle est donc contre les accusés!
Un acquittement produirait dans le pays une grande fermentation des
troubles
nouveaux.
Réponse: Roccaserra
et Polycarpe
Durazzo présentés comme les chefs du complot sont rentrés dans
leurs
foyers. Sartène n'a pas cessé d'être calme. D'ailleurs un acquittement
sur le
continent produirait-il d'autres résultats?
Les jurés ne présentent pas des garanties suffisantes. La parenté, les
alliances, les relations des accusés avec les jurés ne permettent pas
de croire
à l'impartialité de la décision à rendre.
Réponse: huit cents jurés composent la liste électorale, on n'en
trouvera pas
trente, on n'en trouvera pas douze, le sort favorisera les parents, les
alliés,
les amis! La récusation du Ministère public sera sans effet! Et quels
sont ceux
qui attaquent ainsi l'élite de la population corse? Ceux-là mêmes qui,
aux
dernières assises, craignant l'indépendance d'un juré, l'obligèrent,
par de
terribles menaces, à quitter l'audience et ses fonctions commencées.
Mais quoi? Roccaserra,
maire, homme éminent par sa fortune et sa position, Polycarpe
Durazzo, avocat, ont été jugés par les jurés corses, sans
réclamations,
sans trouble; et voici neuf accusés tous simples particuliers n'ayant
jamais
exercé aucun emploi et que vous signalez comme maîtres de huit cents
jurés!
Un dernier mot sur ce motif de suspicion légitime: la Corse formait
autrefois
deux départements: Golo et Liamone, elle n'en forme plus qu'un seul
mais pour
une sage prévoyance les jurés qui habitent le territoire du Liamone
sont
appelés à juger les crimes commis dans l'ancien département du Golo,
ceux du
Golo jugent le Liamone.
Enfin Sartène petite ville de 2500 âmes renfermera-t-elle dans son sein
neufs
citoyens, sans dignités, sans titres, sans emplois, qui domineront le
jury et
désarmeront sa conviction?
Ah! sans doute lorsqu'une Cour criminelle jugeait les accusés, on
pouvait
concevoir les demandes fréquentes en renvoi. Il pouvait se trouver dans
une
Cour composée de vingt-quatre magistrats, un certain nombre de parents
et
d'alliés, de patrons, d'amis. Et cependant lorsqu'en 1829, le procureur
général
de la Corse demandait le renvoi sur le continent de la cause Poli et
Brignole,
la Cour de cassation rejeta la requête. Et il s'agissait pourtant de
l'immense
influence de la famille Casabianca, dont les vastes ramifications
embrassent
une partie de la Corse! L'un des accusés était son petit-fils, neveu
d'un
président de Chambre parent de plusieurs conseillers, et la Cour seule
devait
prononcer sans jurés…
Il est vrai que plus tard la Cour ordonna le renvoi de Biadelli,
dans la même affaire, mais Biadelli
avait lui-même un nom, une influence, et il ne s'opposait pas. La Cour
d'assises
de l'Hérault le vengea des calomnies dont on voulait l'abreuver.
Et l'on récuserait huit cent jurés.
Mais la Cour aujourd'hui est pour ainsi dire la famille des accusés
presque
tous les magistrats sont leurs parents, leurs alliés, les parents de
leurs
parents, les alliés de leurs alliés, les amis de leurs amis!
La Cour! Mais aujourd'hui que le jury doit rendre son arrêt à la
majorité de
huit voix au moins, quel est le rôle de la Cour?
Quoi? Trois magistrats intègres ne se trouveront pas pour tenir ces
audiences!
Ecoutons les adversaires et nous les jugerons:
|
Noms des
juges |
Motifs de
suspicion |
Réponses |
1° |
Colonna
d'Istria, premier président |
Oncle à la
mode de Bretagne de l'un des accusés, protecteur de tous |
M. le
premier président est veuf. Sa
femme était cousine de la mère
de Roccaserra
qui est morte aussi. Mais ce
qui est remarquable, c'est que la
femme du premier président était cousine germaine de Raphaël
Ortoli partie civile. |
2° |
M.Colonna,
père du premier président |
Même
alliance, mêmes sentiments ouvertement professés. |
Point
d'alliance. |
3° |
M. Pasqualini |
A pris
part à la mise en accusation. |
Il est
mort. |
4° |
M.Suzzoni,
conseiller |
Oncle
d'une dame Roccaserra de la même famille que les accusés. |
Erreur
volontaire. M.Suzzoni est oncle par alliance d'une Roccaserra
de Porto-Vecchio, qui n'a rien de commun avec les Roccaserra de Sartène. |
5° |
M.Olivetti, conseiller |
Etait
secrétaire général de la préfecture, M. Piétri
oncle germain de deux accusés[5] était préfet. |
M.Olivetti
fut révoqué en 1803, il y a vingt-huit ans, de ses fonctions de
secrétaire général. |
11° |
M.Arrighi,
conseiller |
Parent de
madame Piétri, belle-sœur de Xavier
Piétri, accusé. |
La parenté
est de pure invention. |
12° |
M.Pallavicini,
conseiller |
Marié à
Gentili de la même famille que M.Gentili. |
Marié à
Gentili de Bastia qui n'a rien de commun avec la fille Gentili de
San-Firenzo. L'une est d'origine génoise, l'autre corse. |
13° |
M.Casabianca,
conseiller |
Allié de
la famille Galeazzini. Une
Galeazzini a épousé le frère de
FXavier Piétri, accusé. |
C'est
fouiller bien avant pour trouver un motif de suspicion; et pourtant le
fait n'est pas vrai. Il n'y a aucune parenté entre M.Casabianca et les
Galeazzini. |
19° |
M.Murati,
conseiller-auditeur |
Mari d'une
Gentili comme M.Pallavicini. |
Mari d'une
Gentili de Nonza qui n'a aucune parenté avec les Gentili de
San-Firenzo. |
21° |
M.Tamiet, premier avocat général |
Allié à la
famille Galeazzini donc à madame Piétri
belle-sœur de Xavier. |
Point
d'alliance avec la famille Galeazzini. |
Voilà huit
magistrats, sans compter
le premier président et un omettant M.Pasqualini,
décédé, voilà huit magistrats que l'on avait osé repousser et les
motifs de
suspicion légitime sont de pure invention. La Cour aura la mesure de la
bonne
foie de nos adversaires.
Telle est la cause. Une dernière réflexion nous est commandée par la
nature
même du procès. Accorder le renvoi demandé, c'est donner une prime
d'encouragement et de sédition. Le maire
était seul en droit d'organiser la garde nationale, à défaut de son
concours,
il fallait s'adresser à l'autorité supérieure. Le sous-préfet
provisoire osa dépouiller le maire
de son droit et il créa le 8 septembre lorsque depuis un mois la Charte
était
acceptée et le Roi
proclamé il créa une commission municipale et administrative qu'il
chargea
d'organiser avec lui la garde civique. Nous ne revenons pas sur ces
singulières
élections, qui remettent à trois familles tous les grades et tous les
emplois,
sur ces huit compagnies pour deux cent hommes; tout cela eût été plus
ridicule
encore qu'illégal sans les fatales conséquences d'une faute si grave.
Les deux autorités étaient en conflit; mais le Roi
avait confirmé Monsieur Péraldi
dans ses fonctions: la lutte allait cesser par la retraite forcée d'Ortoli.
Une véritable rébellion s'organise; on veut interdire au sous-préfet
l'entrée de Sartène, et la ville est épouvantée d'une sanglante
tragédie. La
mort a frappé les agresseurs; mais si le sang des citoyens a été versé
par la
main des citoyens; s'il faut gémir sur la fatale issue de cette lutte
cruelle,
faut-il donc sans nécessité en prolonger les suites? Quoi don? Le jury
ne fut
point suspect pour juger les deux hommes que vous présentiez comme les
plus
coupables, et il sera tout-à-coup pour juger ceux qui, d'après
l'accusation
même, n'ont pas pris au prétendu crime qu'une part secondaire. On
déploiera la
rigueur, non contre les accusés qu'on arrête, mais contre ceux qui se
constituent volontairement! Et l'on attend pour se pourvoir qu'ils
aient passé
cinquante jours dans les prisons. Que deux d'entre eux, dont un
septuagénaire,
aient été frappés de maladie? Les témoins sont cités; le jour de
l'audience est
fixé, le neuf décembre ils seront libres, et c'est le 1er
décembre
qu'on adresse à la Cour de cassation cette déplorable requête!
Non, non, la Cour ne l'admettra pas. Le jury serait indulgent
dites-vous,
voyez, depuis qu'il existe en Corse, si la justice n'a pas su se faire
jour?
Comptez au contraire les causes renvoyées sur le continent pour cause
de
suspicion légitime, et voyez les résultats.
1° Salicetti, Zerbi et consorts, sept accusés, dont six contumaces;
l'accusé
présent acquitté par le jury; les accusés contumaces acquittés par la
Cour
d'Assises de l'Hérault.
2° Les dix-sept accusés du pillage de la Parthénope, tous acquittés.
3° Guerini et Renucci acquittés également.
4° Biadelli,
son acquittement fut un véritable triomphe.
N'est-ce pas là une preuve concluante de cette vérité, qu'il faut
laisser
suivre à la justice son cours et ne pas ravir aux accusés leurs juges
naturels?
Et enfin, dans quelle cause veut-on l'exception au principe? Le
principal
accusé a déjà obtenu une ordonnance d'acquittement; un second accusé,
signalé
comme le plus coupable après lui, est aussi rentré dans son domicile,
lavé de
tout soupçon. Et l'on voudrait qu'un jury du continent eût le courage
de
frapper ceux contre lesquels ne peuvent s'élever les plus vagues
présomptions,
lorsque deux jurys ont, sur les lieux mêmes proclamé l'innocence de Roccaserra
et Durazzo!
Disons-le hautement, dans toute circonstance il faut n'accueillir
qu'avec la
plus grande réserve une demande en renvoi; dans la cause, cette demande
est
sans motif, accueillie, elle serait sans résultat.
Antoine-Jean
Piétri, frère de l'un des accusés
Antoine
Casanova, fondé de pouvoir de tous
Ad.Crémieux,
avocat, en la Cour.
Et le même mois, aux borghegiani de répondre:
Mémoire
pour le sieur Paul-Alexandre
Piétri et le sieur Paul-François
Ortoli
Contre
Les Accusés de Sartène.
Le sieur Piétri,
frère du malheureux capitaine
de la Garde Nationale de Sartène assassiné à la tête de la compagnie,
et le
sieur Ortoli,
l'une des victimes du même guet-à-pens, demandent le renvoi de la
poursuite de
ce crime devant une Cour d'assises du Continent pour cause de suspicion
légitime.
Les accusés viennent de publier un Mémoire en défense à cette demande:
c'était
sans doute leur droit. A Dieu ne plaise qu'il nous arrive jamais de
contester
aux Accusés aucunes de leurs prérogatives! Mais la demande a aussi les
siennes
et l'infortuné, qui se plaint de la cruauté de ses assassins, mérite
aussi
qu'on l'écoute et qu'on lui rende Justice.
Les Accusés commencent par
demander si
nous voulons ou si nous ne voulons pas le Jury en Corse? Est-ce là
l'objet du
recours que nous avons formé devant la Cour de Cassation?
Oui, nous voulons le Jury, puisque nous demandons que le crime soit
jugé par
une Cour d'assises; nous voulons le Jury pour la Corse, comme pour
toute la
France; car nos principes et notre amour de la liberté n'admettent pas
d'acception dans la répartition des droits qui appartiennent à toute la
société; mais nous voulons des juges!…
Assurément nous n'avons pas la moindre intention d'offenser les
respectables
citoyens de l'île de Corse auxquels la loi remet le pouvoir d'exercer
cette
magistrature souveraine; mais quel que soit notre désir de voir le Jury
de la
Corse remplir son devoir, comme celui du continent, nous pouvons
admettre que
pour le crime qu'il s'agit de punir, on peut ne pas trouver toute
l'indépendance
nécessaire dans le pays qu'il a ensanglanté.
Or, telle est notre crainte.
Faits.
Un crime affreux fut commis le 16 septembre 1830, dans la petite
ville de
Sartène; ce crime a fait frémir toutes les cités civilisées: il n'y a
que les
malheurs qui ont affligé la ville de Lyon qui aient pu égaler cet
exemple.
Voici dans quelles circonstances:
Sartène, ville de 2000 âmes et chef-lieu de l'un des arrondissements de
l'île
de Corse fut toujours divisée en deux partis ou familles rivales: les
unes ont
pour bannières les privilèges et les autres prééminences; ce sont les
RoccaSerra, les Durazzi et leurs partisans; les autres se distinguent
par des
principes libéraux, l'amour de l'indépendance et de l'égalité devant la
loi.
Pendant tout le règne de la restauration, le pouvoir fut confié aux
mains des
partisans de l'aristocratie; c'était conforme à l'ordre des idées de
l'époque:
mais arrivant la révolution de Juillet, les choses durent changer.
Aussi ce
grand événement fut-il accueilli diversement, selon que les intérêts et
l'ambition s'en trouvèrent froissés ou soutenus. A Sartène, le parti
dominant
jusque là dut en être effrayé; l'autre dut y puiser l'espoir d'un
changement
dans sa position.
Le sous-préfet
était alors absent. L'administration de l'arrondissement fut confiée
provisoirement au sieur Pierre-André
Ortoli; mais le sieur Vincentello
RoccaSerra fut continué dans ses fonctions de maire. Une violente
opposition dut se manifester entre ces deux administrateurs parce que
chacun
représentait un des deux partis qui divisaient la ville.
Aussi lorsqu'il fallut organiser la garde nationale, le maire
ne voulut pas y prendre part, et le sous-préfet
fut obligé de nommer une Commission municipale qui y procéda
conformément à la
loi de 1790. Mais le maire
se promettait bien de renverser plus tard cette organisation, et, peu
réservé
dans ses propos, il qualifiait cette garde nationale des épithètes les
plus
outrageantes.
Les esprits étaient dans cette disposition lorsqu'on apprit que le
sieur Peraldi,
sous-préfet en titre, arrivait pour reprendre ses fonctions; le maire
n'avait pas manqué de publier que le premier acte de son administration
serait
la dissolution de la garde nationale. Dès lors agitation dans la ville.
Les
partisans de RoccaSerra
ne se contentèrent pas de répandre ces propos; ils appelèrent encore
les
paysans des montagnes, qui descendirent armés dans la ville, et
s'assemblèrent
dans le quartier Ste-Anne pour soutenir, disaient-ils, les
projets
des ennemis du nouvel ordre des choses. Que l'on se figure la
fermentation qui
régnait alors dans la ville. La guerre civile était imminente, la
rébellion
avait levé la tête!
Le sous-préfet
par intérim, responsable de la tranquillité et chargé de maintenir le
bon
ordre, que le maire
lui-même se plaisait à troubler, dut s'agiter aider de la force armée.
Il
convoqua la garde nationale et la gendarmerie; mais au moment où l'une
des
compagnies de cette garde civique, assistée d'une brigade de
gendarmerie
arrivait en patrouille sur la place Ste-Anne, un premier
coup de feu
partit de l'une des maisons Durazzo et vint atteindre mortellement le
sieur Piétri,
capitaine. A ce premier signal une fusillade générale partit de toutes
les
maisons; Antoine
Susini fut aussi frappé à mort, plusieurs autres gardes nationaux
et
gendarmes furent blessés plus ou moins grièvement; toute la patrouille
fut
dispersée; dès ce moment l'anarchie et la guerre civile s'emparèrent de
la
ville.
Tel est le crime qui est déféré en ce moment à la Justice. Treize
accusés
furent mis en prévention et renvoyés à la Cour d'assise par un arrêt de
la Cour
de Bastia du 14 mars 1831. Parmi eux étaient RoccaSerra,
maire, et Polycarpe
Durazzo, qui seuls étaient arrêtés; tous les autres étaient
contumaces.
Les débats s'ouvrirent contre ces deux détenus, et malgré les charges
évidentes, malgré la pressante éloquence du ministère public, le Jury
prononça
un verdict de non culpabilité.
RoccaSerra
et Durazzo
ont été acquittés…
Ce premier succès a enhardi les contumaces: ils s'accusaient sans doute
eux-mêmes puisqu'ils avaient fui la présence de leurs Juges; mais ils
proclament aujourd'hui leur innocence, et ils demandent à partager le
triomphe
de leurs complices.
C'est sur cette nouvelle
poursuite que
les sieurs Piétri
et Ortoli
se présentent comme parties civiles. Piétri,
frère de celui qui a reçu le coup mortel, Ortoli,
blessé et menacé de perdre la vie, ont sans doute des réparations à
demander à
leurs assassins; mais ils croient avoir des motifs d'une suspicion
légitime
contre l'indépendance des juges de la localité, et c'est pour cela
qu'ils
sollicitent le renvoi de la cause devant une autre Cour d'assises.
Leurs
soupçons sont-ils fondés? C'est là ce que nous avons à démontrer.
Discussion.
Les accusés ont expliqué à leur manière les faits et circonstances
de ce
drame horrible. Comme on le pense bien, ils en ont déversé toute la
faute sur
leurs adversaires. Nous félicitons de ce que le besoin de la cause ne
nous
impose pas l'obligation de discuter ces faits. Ce n'est pas ici le lieu
de
confondre les coupables. Ils sont accusés! Le doute sur leur
participation au
crime peut exister tant que la Justice n'a pas prononcé; qu'ils
jouissent de
toute cette illusion! Il ne nous appartient pas encore de la détruire.
Mais le
fait principal, celui que personne n'oserait contester, c'est
l'existence du
crime. Ce fait est malheureusement trop notoire, et ses conséquences
contre les
demandeurs sont telles, que toute réparation civile sera toujours
impuissante.
Dans le mémoire produit pour la défense, on a vanté le patriotisme, le
dévouement, les vertus civiques de RoccaSerra,
ancien maire; on le devait, puisque la voix publique ne cesse de
considérer
comme le principal instrument de cette journée néfaste. Le soin que
l'on met à
le justifier n'est pas une moindre preuve du besoin qu'il a de se
disculper;
mais qu'il soit permis à ses adversaires de douter de tant de vertus,
lorsque
parmi les actions de la vie si malheureusement célèbre, ils se
rappellent cette
rixe avec un cordonnier qui le fit expulser de Florence; cette
tentative
d'assassinat sur un conseiller de la Cour impériale de Rome, qui motiva
un
procès criminel dont le procureur général Boucher
et l'avocat général Tamiet
peuvent conserver encore le souvenir, et ce procès en concussion, dit
des
Oliviers, pendant qu'il était maire. Tous ces épisodes de cette vie si
vantée
ne sont pas de nature à faire croire à tant de vertu. Enfin on tire
argument de
l'acquittement de RoccaSerra
et de Durazzo;
s'ils ont été acquittés, qu'ils jouissent de ce triomphe, si leur
conscience le
leur permet! Mais qu'ils ne cherchent pas à effacer de la mémoire de
leurs
victimes ce qu'elles ont vu dans la trop fameuse journée du 16
septembre.
Ainsi, laissons de côté toutes
ces
justifications que nous ne pouvons pas discuter ici, et voyons
seulement si la
nature du crime, si les circonstances qui l'ont produit et celles qui
l'ont
suivi, permettent d'espérer qu'il sera apprécié et jugé avec ce sang
froid et
cette indépendance qui doivent caractériser la Justice. S'il s'agissait
de l'un
de ces forfaits commis par un individu, soit à titre de vengeance, soit
pour
s'emparer de la propriété de son semblable; la société, sans doute, ne
serait
pourtant pas ébranlée dans son principe, et ceux auxquels la loi remet
le soin
de punir le coupable, personnellement désintéressés, apprécieraient
avec indépendance
et résignation le corps du délit et l'énormité de l'offense. Ainsi le
Jury
serait animé du seul désir de venger la loi, la magistrature sentirait
le
besoin d'en faire l'application, et l'accusé serait assuré d'être
acquitté s'il
prouvait son innocence, ou d'être condamné si son crime était reconnu
constant.
Mais combien sont différentes les circonstances qui ont produit le
forfait de
Sartène! La cause du crime a pris sa source dans une malheureuse
division qui
trouble toute la société. Deux classes influentes se sont séparées en
deux
camps ennemis; l'amour propre de caste et de privilège, la passion des
opinions
politiques sont l'aliment de cette guerre d'observation d'abord, et
terminée
ensuite par le combat le plus sanglant. Ce combat a été livré par de
simples
citoyens à la force armée, organisée pour maintenir le pouvoir que la
nation
avait proclamé légitime. Or, c'est là le crime le plus terrible que la
société
puisse redouter; parce que dès l'instant où la rébellion brise les
liens du
pouvoir, il n'y a plus d'organisation sociale possible. Ainsi dans le
fait,
tous les habitants de cette île ont éprouvé des ressentiments de ce
forfait
inouï, selon que leurs opinions ont sympathisé plus ou moins avec l'un
ou avec
l'autre des partis; tous ont participé aux conséquences de ce drame
terrible.
Aujourd'hui la Justice doit exercer ses vengeances, et d'après nos
lois, c'est
dans la société même qu'elle doit prendre ses organes. Eh bien!
pense-t-on que
les jurés arriveront dans le temple de la Justice dégagés de tout
sentiment de
sympathie ou de haine pour les accusés? Les jurés sont choisis dans la
classe
la plus élevée des citoyens; or que l'on examine la position des
accusés? C'est
précisément à cette classe qu'ils appartiennent. Que l'on consulte leur
nombre,
leur position, les nombreuses alliances qui les unissent à toutes les
familles
de la Corse, et l'on verra s'ils ne sont pas surs de trouver de l'écho
dans la
composition du Jury. Sans doute, ce Jury pourra se composer aussi de
quelques
partisans de l'opinion des parties civiles; mais alors faudra-t-il
établir dans
ce Jury même cette exécrable division qui a produit le carnage de
Sartène? Ce
tribunal civique jugera-t-il sous l'influence de ses passions, ou bien
éclairé
par le flambeau de la raison et de la Justice? Faudra-t-il enfin que le
sort
des accusés dépende du hasard qui réglera le nombre de leurs amis ou
celui de
leurs ennemis? L'Ile de Corse, nous dit-on, fut divisée autrefois en
deux
départements, et par une sage combinaison, les citoyens de l'un de ces
départements composent le Jury qui doit juger les accusés de l'autre.
Cette
combinaison, si elle est réellement possible, ce qui n'est pas, serait
impuissante ici, car les alliances des accusés s'étendent également
dans l'une
comme dans l'autre de ces anciennes divisions; et l'un des chefs les
plus
influens de leurs familles, le sieur Piétri
a été longtemps préfet du dépt de Golo, où il a laissé une
clientèle
nombreuse et où il forme des établissements considérables.
Si, du Jury, nous passons à la composition de la Cour royale, nous
voyons que
les alliances seules attachent les accusés à presque toute cette
magistrature.
Eh bien! on le demande à toute personne raisonnable: est-il possible de
compter
sur une entière indépendance pour la distribution de la justice? Ces
faits ne
suffisent-ils pas pour légitimer les soupçons élevés par les parties
civiles?
Les accusés ne cessent de se prévaloir de l'acquittement des deux
premiers
détenus. Eh! c'est précisément là ce qui justifie la suspicion. Le Jury
les a
acquittés! Mais l'accusation avait-elle été désarmée par les preuves du
débat?
Que l'on se rappelle les paroles pleines d'indignation du ministère
public, et
l'on verra si l'accusateur reconnaissait l'innocence. Ce magistrat
éloquent
remplissait pour la première fois ce devoir terrible, mais sacré; peu
familiarisé avec la sévérité de ce ministère, son cœur cherchait sans
doute des
innocens là où l'accusation dénonçait des coupables; eh bien! les
preuves
avaient été si accablantes que le devoir du magistrat l'avait emporté
sur la
sensibilité du citoyen, et ce fut alors qu'il prononça ces paroles
dignes du
plus bel âge du barreau. (voir la gazette des tribunaux du 19.8bre
1831.)
RoccaSerra
et Durazzo
furent acquittés, dit-on, et voyez si la tranquillité en fut troublée?
Ah! pourquoi nous force-t-on de rappeler encore les horribles passions
de la
vengeance qui agitent trop souvent les malheureux corses! Oui, la
tranquillité
publique a souffert de ces acquittements, et la haine a fait frémir de
nouveau
les cœurs des sartenais; lisez la proclamation du sous-préfet à la date
du 15.8bre,
et vous verrez quels ont été les fruits de la trop grande facilité du
Jury!
L'arrêt de la dite Cour en date du 19 janvier 1832 rejette la
demande:
Extrait du Journal des Tribunaux
----------
Justice criminelle
Ord: du 19 Janvier 1832
Présidence de Monsieur le Comte Bastard (ou Bastaro)
----------
Demande en renvoi pour cause de suspicion légitime
Jury de la Corse
----------
Le 16 7bre 1830, une émeute sanglante eut lieu dans la ville
de
Sartène, chef lieu d'un arrondissement de l'Ile de Corse; nous
n'entrerons pas
dans les détails de ces événements tragiques, racontés diversement par
chacune
des parties, et qui seront bientôt soumis à l'appréciation du jury;
nous dirons
seulement que deux individus ont été tués et cinq autres bléssés. Au
nombre des
victimes se trouvait le sieur Piétri
capitaine de la Garde Nationale: le frère
de ce malheureux se porta partie civile dans les poursuites exercées
contre les
prétendus auteurs de ces crimes. La Cour Royale de Corse évoqua
l'affaire et
par arrêt du 14 Mars 1831, treize individus ont été renvoyés devant la
Cour
d'assises; deux des accusés seulement ayant pu être saisis ont été
soumis à des
débats contradictoires, et ils ont été l'un et l'autre déclarés non
coupables
par le jury et acquittés; l'un d'eux était le sieur Roccaserra
Maire de la ville de Sartène.
Après l'acquittement de ces deux accusés, Monsieur le Procureur Général
près la
Cour Royale de Corse a demandé à la Cour de cassation, pour cause se
suspicion
légitime, le renvoi devant une Cour d'assises du continent des accusés
aujourd'hui en état d'accusation d'arrestation.
La partie civile est intervenue pour se joindre à la demande formée par
Monsieur le Procureur Général. Maître da
Costa défenseur de la partie civile a prétendu que la cause des
scènes
sanglantes de la journée du 16 7bre 1830 tenait à des
divisions
politiques et des haines qu'elles avaient excitées, qu'il était
impossible
qu'un jury statua avec impartialité et sans passion sur l'accusation
qui allait
être soumise à la Cour d'assises; que d'ailleurs un grand nombre de
jurés et
plusieurs des Magistrats composants la Cour Royale de Corse étaient
parents ou
alliés soit des accusés soit des accusateurs. Maître Crémieux
défenseur des accusés a dit que toute la question était de savoir si on
voulait
oui ou non conserver à la Corse l'institution du jury: il a répondu aux
allégations de fait présentés par la partie civile. Il invoque comme
preuve de l'impartialité
qui présiderait au jugement des accusés la conduite impartiale et de la
Cour
Royale de Corse et des jurés dans les débats auxquels ont été soumis
les deux
accusés acquittés. Il a fait remarquer aussi que l'Ile de Corse compte
800
jurés parmi lesquels 22 seulement appartiennent à la ville de Sartène;
en cet
état les accusateurs n'ont rien à craindre. La justice de la Corse
saura
remplir son devoir. Monsieur le Procureur Général Dupui après avoir
examiné les
moyens sur lesquels était fondée la demande en renvoi après avoir
prouvé que la
conduite de la Cour Royale de Corse et du jury, dans toute cette
affaire, avait
été parfaitement impartiale continue en ces termes:
"Pourquoi admettre une demande en renvoi pour cause de suspicion
légitime
il faut des causes graves, évidentes; l'intérêt de la justice l'exige
car pour
être efficace la justice doit être rendue sur place: en second lieu un
pareil
renvoi est de nature à jeter une vive déconsidération sur la Cour qui
ne doit
être établie en l'état de suspicion légitime que lorsque des actes
justifient
pleinement de pareils soupçons.
La Cour de Bastia est elle dans ce cas? Elle qui à la première
connaissance
qu'elle a eu de l'affaire, l'a évoquée; qui a nommé dans son sein pour
procéder
à l'instruction un Magistrat, à l'intégrité duquel la partie civile
elle-même
rend un éclatant hommage, qui enfin a rendu un arrêt de mise en
accusation
contre 13 prévenus.
Est ce le jury qui pouvait justifier le renvoi? Le jury est nouveau en
Corse;
dès sa naissance faudra-t-il le placer en état de suspicion et arrêter
son
action?
La division des partis, ou des familles dans l'île, le caractère de la
population sont des raisons qu'on pourra reproduire en toute affaire.
Pour
qu'il y ait paix en Corse faudra-t-il donc en exiler la justice, et la
déléguer
sur le continent? D'ailleurs Messieurs, il faut le reconnaître, cet
esprit
corse, ce sentiment de "vendetta" transmis de génération en
génération a pris originellement sa source dans un sentiment de justice.
C'est parce que le Corse soumis à un joug oppresseur, n'avait aucune
séparation, aucune justice, à attendre de ses Maîtres qu'il se vit
réduit à se
la faire lui-même. Apprenons lui que la justice n'est jamais le produit
de la
force; que chacun doit l'attendre de la loi et du jugement de ses
pairs, qu'il
voye les crimes traduits sur les lieux devant les juges du Pays; qu'il
vienne
s'asseoir lui même au nombre de ses concitoyens pour juger en son âme
et
conscience, il ne recourra plus aux armes pour arracher une "vendetta"
quand la loi et ses pairs lui rendront justice.
Si l'on admettait les motifs exposés dans la demande en renvoi, il n'y
aurait
que les vagabonds, que les gens sans ---- qui pourraient être traduits
devant
le jury corse; car pour toute personne appartenant à une famille de
l'île, pour
toute personne dans la classe de celles qui sont appelées à composer le
jury
serait suspect, il faudrait le faire juger outre-mer par des hommes ne
connaissant le plus souvent ni leur Pays ni leur langue. C'est à dire
que l'institution
du jury en Corse serait écartée pour tous ceux qui trouveraient
réellement
leurs pairs dans les jurés.
D'ailleurs le droit d'être jugé non seulement par un jury, mais par le
jury du
lieu, est un droit constitutionnel dont aucun citoyen ne doit être
arraché à
ses juges prive. Un citoyen ne doit être arraché à ces juges naturels
que pour
les motifs les plus graves, il faut que l'évidence et la nécessité
contraignent
à suspecter l'impartialité de leur justice: cette nécessité n'existe
nullement
dans l'espèce. Nous concluons au rejet de la demande en renvoi."
La Cour après une courte délibération a statué en ces termes:
Attendu qu'il n'existe pas de motifs suffisants de suspicion légitime
rejette
la demande en renvoi.
Vive la Cour de cassation
Vive Monsieur Dupui
Les coaccusés comparaissent donc
devant
un jury corse[6] le 2 mai 1832. Le verdict est rendu le 8 mai:
acquittement
général.
Le procès fut perturbé par un assassinat commis à sartène. Le 4 mai
1832 à 20h,
le procureur du roi à Sartène Giovan-Tomaso
Susini, qui vient d'être nommé substitut du procureur général près
la Cour
royale de Bastia, en rentrant chez lui dans le quartier de Borgo, est
assassiné
sur le seuil de sa porte par deux frères Ortoli[7] d'Olmiccia. En fait cet
épisode s'avérera indépendant des
évènements du 16 septembre 1830. Un des frères Ortoli, inculpé pour
tentative
de meurtre, avait été dans un premier temps renvoyé en police
correctionnelle
pour simples blessures, avant que Susini
forme opposition à l'ordonnance de la Chambre du conseil et la Cour le
mette en
accusation. Les mêmes frères Ortoli avaient été mis en prévention pour
un
assassinat et une double tentative de ce crime. Ils seront condamnés à
mort par
contumace le 22 décembre 1832.
IV Episode
'Furconi' ou le coup-double du roman "Colomba"
Le 20 février 1833, les frères Paolo-Alesandro
et Anton-Camillo
Pietri, dont le frère Sebastiano
avait été tué lors des évènements du 16 septembre, rentrent d'une de
leurs
propriétés du Rizzanese. De leur coté, Bisentelluccio,
Paul-François
et Cento-parole
RoccaSerra, Jean-François
Durazzo et Ferrando
dit Spanto Pietri qui sont sortis faire escorte à l'abbé Arrigo
RoccaSerra de Porto-Vecchio, rentrent à Sartène. Comme ils passent
à
proximité d'un enclos dénommé 'Furconi' et que les Pietri rentrent chez
eux par
le même chemin, Jean-François
Durazzo, en les voyant, croit à une embuscade et il crie à ses
cousins de
prendre garde. Le combat aussitôt s'engage, les Pietri succombent et Bisentelluccio
a le bras gauche fracturé par une balle.
Le même jour monsieur Giubega,
sous-préfet de Sartène, écrit au préfet de la Corse: "Nos tristes
prévisions ne se sont que trop tôt réalisées. Aujourd'hui à deux heures
environ
après midi, une rencontre fortuite a eu lieu entre les deux partis qui
divisent
la ville de Sartène, dans la plaine du Rizzanese. Les frères Alexandre
et Camille
Pietri appartenant au parti de l'ancienne garde nationale sont demeurés
sur la
place criblés de balles. Les individus du parti opposé qui ont
participé à
cette malheureuse affaire ont pris la fuite. La voix publique ne les
désigne
encore que dubitativement; ce ne sera que par le courrier de samedi que
je
pourrai vous écrire quelque chose de positif à cet égard. Cependant on
assure
que le sieur Jérôme
RoccaSerra, frère de l'ancien maire, a été grièvement blessé. Dès
que j'ai
appris ce funeste événement, je me rendis sur la place publique;
j'invitai la
garnison à prendre immédiatement les armes, et je lui fis occuper les
postes
les plus importants de la ville afin qu'elle pût, au besoin, empêcher
de
nouveaux malheurs…"
Monsieur Giubega
donne au préfet, le surlendemain 22 février, de plus amples détails: "On
s'accorde généralement à dire que cette malheureuse affaire est
décidément le
résultat d'une rencontre fortuite entre les sieurs Camille
et Alexandre
Pietri, tous deux frères de l'une des victimes du 16 septembre 1830,
d'une
part, et les sieurs Jean-François
Durazzo, Jérôme,
Paul-François,
Jean-Paul,
cousins RoccaSerra, et Paul-Ferrand
Pietri, surnommé Spanto, de l'autre. La partie, comme vous voyez,
n'était pas
égale, aussi les frères Pietri ont-ils succombé. Du parti opposé, le
seul Jérôme
RoccaSerra a été grièvement blessé à un bras. Il paraît que l'avant
et
l'arrière bras ont été également fracturés. On assure que l'amputation
est
inévitable et que l'absence de chirurgien ayant la capacité nécessaire
met les
forces du sieur RoccaSerra
en danger. Le lieu de sa retraite n'est pas connu jusqu'ici… J'ai jugé
convenable de réunir à Sartène toutes les brigades de gendarmerie et
les différents
détachements de voltigeurs corses stationnés dans l'arrondissement…"
Le 3 mars, Bisentelluccio
RoccaSerra se constitue prisonnier. L'instruction, vivement menée,
tourne
bientôt court, comme le relate monsieur Giubega
dans sa lettre du 19 mars au préfet: "La procédure, qui touche à son
terme, semble n'avoir jeté aucune lumière sur les circonstances qui ont
amené
la catastrophe du 20 février dernier. Je ne vous entretiendrai pas des
différentes versions qui circulent sur cette malheureuse affaire.
Chacun en
parle sous l'inspiration de ses animosités ou de ses affections
particulières,
et aucun témoin oculaire ne s'est présenté, jusqu'ici, pour départager
des
opinions aussi diamétralement opposées. Cependant la plus communément
accréditée, c'est qu'il n'y a pas eu guet-apens; que l'événement a été
l'effet
d'une pure rencontre, et que des paroles irritantes échangées de part
et
d'autre ont déterminé l'explosion dont les frères Pietri sont demeurés
des
victimes… Pour les ortolistes, les frères Pietri avaient été surpris
par cinq
roccaserristes, parmi lesquels Jérôme
RoccaSerra, le frère de l'ancien maire, et lâchement assassinés.
Pour les
roccaserristes, les frères Pietri avaient tendu une embuscade à Jérôme
RoccaSerra qui, bien que blessé au bras gauche, réussit, par un
prodige
d'habileté et d'énergie, à les tuer coup sur coup. Les imposantes
forces de
police concentrées à Sartène avaient de la peine à endiguer
l'effervescence des
esprits".
Bisentelluccio
RoccaSerra bénéficiera d'un non-lieu.
V Episode
Propriano
Le 20 janvier 1834 à Propriano, Bisentelluccio
RoccaSerra, Michele
Durazzo et Paul-Marie
Susini surveillent un chargement de marchandises à destination
d'Ajaccio,
lorsque arrive, escorté par quelques borghegiani, Giovan-Paolo
dit Capo d'orso Rosolani qui se rend à Paris. Le départ de cette
troupe
n'avait pas échappé aux RoccaSerra qui avaient immédiatement dépêché
cinq de
leurs hommes à Propriano, et demandé au capitaine des voltigeurs
d'intervenir
pour éviter toute rencontre. Ceux-ci arrivent trop tard et ne peuvent
que
constater la mort de Giovan-Battista
Susini et la grave blessure d'Antoine
Casella chez les borghegiani.
Cento-parole
RoccaSerra et Spanto
Pietri d'une part (épisode 'Furconi'), Michele
Durazzo et Paul-Marie
Susini d'autre part (épisode Propriano), sont mis en accusation.
L'abbé Paolo-Maria
Pietri, oncle des trois frères tués et donc le premier concerné
pour le
rétablissement de la paix entre les deux factions, déclare alors "La
paix aura lieu quand la justice sera faite dans les procès de 'Furconi'
et de
Propriano... Mes neveux sont morts pour conserver leur honneur et je
n'entend
pas me déshonorer".
VI Le
traité
de paix de Sartène
Suite à l'intervention pressante du gouverneur de la
Corse,
le lieutenant-général Lallemand,
le 7 décembre 1834, à 11h du matin, tandis que les cloches de la ville
sonnent
à toute volée, les représentants du Borgo et de Ste-Anne pénètrent
ensemble
dans l'église paroissiale. La messe dite, toutes les personnes
comprises dans
l'inimitié jurent sur le saint autel d'oublier leurs griefs et de vivre
en
frères, puis ils signent un traité de paix.
"Au nom de Dieu, de la Patrie et du Roi des Français. Pardevant nous
Rocca-Serra
Notaire Royal à la résidence de Sartène, y demeurant et domicilié, chef
lieu du
Canton et de l'Arrondissement de Sartène, Département de la Corse
soussigné et
en présence des témoins ci-après qualifiés et soussignés, se sont
volontairement constitués d'une part tous les individus presents
désignés dans
l'inimitié de Sartène sous le nom de parti Ste Anne, et de
l'autre tous
les individus également présents connus sous le nom de parti du Borgo
répondant pour les absents et soussignés, lesquels nous ont exposé ce
qui suit:
La Ville de Sartène après avoir été le modèle de la modération et le
foyer
d'une société bien réglée, s'est trouvée tout à coup désolée par des
événements
sanglants que tous les habitans déplorent du fond de leurs cœurs, et
qu'ils
voudraient pouvoir effacer au prix de leur propre existance; aucun
sacrifice ne
leur coûterait en effet pour revenir à ces jours fortunés où le calme
et
l'union assuraient à chaque famille ses enfans, aux Mères leurs Epoux
et à la
Cité ses Amis et ses frères. Aujourd'hui le deuil est partout; il n'y a
personne qui n'ait à déplorer la perte d'un parent affectueux, d'un
Père ou
d'un fils; au milieu de ce triste tableau l'on voit un vieillard
vénérable,
Ministre des Autels, qui avait servi de Père à trois de ses neveux,
orphelins
dès l'enfance, destinés à le remplacer, une mort prématurée et cruelle
a éteint
la belle vie de ces trois infortunés; leur Oncle malheureux a perdu
tout ce
qu'il pouvait humainement perdre, la vie est un fardeau pour lui, ses
propres
richesses l'accablent. Arbitre de la guerre, n'ayant plus rien à
craindre il
pouvait la continuer; cependant son âme généreuse n'a pu résister aux
prières
toutes paternelles qui lui ont été adressées par Monsieur le Lieutenant
Général
Baron Lallemand
de donner la Paix à la Ville de Sartène. Respecté de tous les habitans,
des
siens comme de ses ennemis, pouvant exiger les satisfactions les plus
rigoureuses, l'Abbé Paul
Marie Pietri se dépouillant de tout amour propre et reconnaissant
que
personne ne peut être Juge désintéressé dans sa propre cause, que
lorsqu'il
s'agit surtout d'un traité de Paix, il faut qu'un tiers soit choisi
pour en
régler les conventions : Ne pouvant faire un meilleur choix que de
s'en
remettre entièrement et sans réserve à la loyauté et à la sagesse de
Monsieur
le Baron Lallemand
qui dans de pareilles circonstances a déjà fait preuve de sa profonde
connaissance de nos mœurs, de nos besoins et de son ardent amour pour
le bien
public; à cet effet pour rendre hommage à l'intérêt que Monsieur le Lieutenant
Général prend à la prospérité de Sartène, l'abbé Pietri,
qui depuis longtems n'avait dépassé le seuil de sa porte s'est présenté
en
compagnie de Monsieur l'Avocat de
Figarelli pour assurer Monsieur le Baron Lallemand
qu'il remettait en lui l'avenir de Sartène, lui faire part de son
adhésion et
de son profond dévouement.
Toutes les autres parties intéressées et notamment Messieurs Jacques
Antoine Susini, Juge au Tribunal Civil de cette Ville, Jean
Paul Rosolani, Vincent
et Jacques-André
Ortoli frères Ortoli, Augustin
Susini du feu Susino, Antoine
Pierre Andre Ortoli, tous propriétaires de Sartène y demeurant Jean
Paul, dit Palluccio, et Jérôme
du feu Jean Paul tous les deux Rocca-Serra, Jean
Paul Durazzo, Antoine
François Durazzo aussi propriétaires demeurant et domiciliés à
Sartène
chefs des partis répondant solidairement chacun pour les leurs, ayant
manifesté
les mêmes sentimens de confiance dans l'impartialité de Monsieur le Lieutenant
Général, font le même choix et les mêmes vœux pour la paix de leur
Pays.
En consequence toutes les personnes comprises dans l'inimitié de
Sartène se
sont rendues ce matin à onze heures dans l'Eglise Paroissiale de cette
Ville,
où après avoir invoqué le secours du Saint Esprit et ouï la Messe
célébrée par
Monsieur le Curé Lucciani
elles ont juré en présence du Saint Autel et de la Nation au nom de
l'honneur
et du Roi
des Français, entre les mains de Monsieur le Lieutenant
Général, Pair de france, Commandant la diseptieme Division
militaire de
tenir et garder le présent contrat de paix.
1° Article premier : Pardon et oubli
pour
tout ce qui se rattache aux funestes événemens passés; Paix, confiance
et union
pour l'avenir. Les signes éxtérieurs de guerre et d'inimitié
disparaitront
immédiatement.
2° Article Deux : Les individus
poursuivis
par la Justice pour les faits de Sartène devront se constituer dans le
délai
d'un mois pour être jugés.
3° Article Trois : On laissera à la
Justice
son libre cours, les partis n'existant plus dès ce jour, personne ne
pourra
agir ni pour aggraver le sort des prévenus ni pour les soustraire à
l'action de
la Loi.
4° Article Quatre : Si les
poursuites
dirigées contre les prévenus[8] Michel
Durazzo, Jean
Paul RoccaSerra fils de Pierre Paul et Paul
Marie Susini venaient à cesser, ou s'ils sont acquittés, Monsieur
le Lieutenant
Général prendra à leur égard les mesures qu’il jugera
indispensables pour
la conservation de la paix.
5° Article Cinq : Devront aussi
s'éloigner
dans les lieux et pendant le temps qui seront fixés par Monsieur le Lieutenant
Général les sieurs: Jérôme
RoccaSerra du feu Jean Paul, Paul
François Rocca-Serra du sieur Jean Paul dit Palluccio et
Pierre
Pietri de feu Michel. Ce faisant ils donneront une preuve de
sentimens de
Paix dont ils sont animés et que rien ne leur coute pour assurer la
tranquillité
dans leur Patrie.
6° Article Six : Pour donner enfin
une
dernière preuve de la sincérité des vœux que les parties font pour la
prospérité de la paix, elles s'imposent l'obligation d'exécuter tout ce
que
Monsieur le Lieutenant
Général croira devoir prescrire pour le maintient de la
tranquillité à
Sartène. A cet effet Monsieur le Lieutenant
Général aura la bonté d'appeler l'attention du Gouvernement du Roi
sur cet
arrondissement aussi interessant que malheureux et oublié.
7° Article Septieme : Les habitans
de
Sartène cidessus désignés, Borgo, et Ste-Anna
s'interdisent le
port d'armes a feu en Ville et reconnaissent que la plus grande partie
de leurs
maux vient de la facilité avec laquelle on y a recours. Ils formeront
le vœu
que cet exemple soit suivi par tous leurs concitoyens. Monsieur le Lieutenant
Général pourra dans des circonstances graves abbandonnées à sa
sagesse lever
en tout ou en partie la susdite prohibition.
8° Article huit : Les personnes qui
aiment
l'honneur et la Paix du Pays sont invités pour prêter aide et
assistance pour
la franche et loyale execution du présent contrat, de considerer les
contrevenans
comme parjures et les abandonner à l'éxégration du monde entier.
Après avoir donné aux parties acte de leur dire et conventions lecture
leur a
été faite dans les deux langues; chacun des individus intéressés y a
apposé sa
signature. Le present contrat a été également signé par les témoins
requis et
par toutes les personnes présentes à la cérémonie. Après l'allocution
adressée
par Monsieur le Lieutenant
Général au peuple de Sartène, pour rendre encore plus solennel et
sacré le
present Contrat de Paix, un te Deum d'actions de grâces a été chanté.
Dont acte
fait et passé à Sartène dans la dite Eglise Paroissiale ce jourd'hui
sept du
mois de Décembre mil huit cent trente quatre en présence de Messieurs Pompée
Pietri Avocat, Maire et propriétaire de Sartène, et Ignace
Lucciani Curé de la Paroisse de la Ville de Sartène, témoins requis
en
conformité de la Loi demeurans et domiciliés à Sartène, lesquels après
lecture
de ces présentes par nous faite ont signé avec les Comparans et toutes
les
personnes présentes à la Cérémonie et nous Notaire;
ainsi que par Messieurs l’Avocat de
Figarelli, le Comte Hannequart,
le Commandant Pianelli,
le Commandant Cauro
Médiateurs de la Paix, ainsi par Monsieur le Lieutenant
Général sous les auspices duquel le présent Contrat a été fait.
Suivent les
signatures de:
Prete Paolo
Maria Pietri
Susini
Juge
Jean
Augustin Susini
Gio:Paolo
Rosolani
Anton
Vincente Ortoli
Giacomo
Andrea Ortoli
Jean
Baptiste Susini
Sebastien
Susini
A.S.
Susini
G ?? Susini
Paul
Marie Rosolani
AJ
Rosolani
Anto Pietri (pas sûr)
Jean Susini Dominique
A.P.A.
Ortoli
A.F.
Ortoli
Jean
Paul RoccaSerra
Jérôme
Rocca Serra
Jérôme
Roccaserra de Jean Paul
Paul-François
RoccaSerra
Dominique
RoccaSerra
Pietro
Paolo Rocca Serra
P.J. Rocca-Serra
Philippe
RoccaSerra
Paul
François RoccaSerra de feu Ant
Jean
Paul Durazzo
Etienne
Polycarpe Durazzo
A.F.
Durazzo
I.Durazzo
N ou ? Pietri
Jean ?
Pietri
Antoine Pietri
A.F.
Pietri
Pierre
Pietri d’Antoine
Jean
Paul Pietri
Paolo Susini
F:X:
Pietri pour moi et pour mes neveux Orsini[9]
AV
Colonna d'Istria
Antoine
Fioravante Pietri
Pierre ????????
Pompée
Pietri maire, témoin
I:Luciani
curé
P.
Costa sous-préfet
J.B.
Ortoli Juge de Paix
Hannequart
Cauro
Comdt
??
Pianelli
Comdt
????
M. de
Figarelli
Deoddi
Cetty
Mémé Peretti
Lallemand
Rocca-Serra
Notaire
Comme il advient toujours en
pareil
cas, le 21 décembre 1834, la Cour d'assises acquitte tous les accusés
sauf Spanto
Pietri qui est condamné à cinq ans d'emprisonnement. Ce n'est pas
ce
qu'attendait l'abbé Pietri, il a donné sa parole il ne la reprendra
pas, mais
il refuse désormais de sortir de chez lui.
On peut penser que le bannissement de trois Sant'Anninchi (article 5 du
traité
de paix) est une exigence de l'abbé pour compenser la perte de ses
trois
neveux.
Et Sartène vit en 'paix'.
VII
Epilogue
'Giargalella'
A Sartène, du 6 au 15 septembre 1839, Mérimée
a été reçu chez Bisentelluccio
RoccaSerra:
"J'ai passé plusieurs jours dans la ville classique de la
schiopettata,
Sartène, chez un homme illustre, M. Jerome
R..., qui, le même jour, fit coup double sur deux de ses ennemis.
Depuis il
en a tué un troisième, toujours acquitté à l'unanimité par le jury...
(extrait d'une lettre du 30 septembre 1839, de Prosper
Mérimée à l'abbé Esprit
Requien, écrite de Bastia)",
"J'ai parcouru les montagnes et les maquis de l'arrondissement de
Sartène en compagnie d'un M. Jerome
Roccaserra, en butte à une vendetta terrible pour avoir tué deux de
ses
ennemis d'une seule main en deux coups de fusil, dans des circonstances
exactement les mêmes que j'ai décrites dans Colomba… M. Roccaserra
me disait que ma présence lui donnait une sécurité complète, ma qualité
d'étranger étant pour lui comme une sauvegarde… (extrait d'une
lettre du 26
octobre 1848, de Prosper
Mérimée à George
Grote)".
Bisentelluccio
RoccaSerra ou son entourage lui a donc conté l'affaire 'Furconi' et
vanté
que son hôte, le bras gauche traversé par une balle, avait descendu
coup sur
coup les frères Pietri, sans être inquiété par la justice.
'Colomba' parait en 1841 et l'épisode du 'coup double de Furconi' y
tient une
bonne place, comme en atteste cette annotation de l'auteur:
"Si quelque chasseur incrédule me contestait le coup double de M.
della
Rebbia, je l'engagerais à aller à Sartène, et à se faire raconter
comment l'un
des habitants les plus distingués et les plus aimables de cette ville
se tira
seul, et le bras cassé, d'une position au moins aussi périlleuse".
Mérimée
n'est-il pas entré dans la peau de son héroïne Colomba: comme elle
pousse son
frère Orso à venger la mort de leur père, ne pousse-t-il pas l'abbé Pietri
à venger la mort de ses neveux ?
Le 24 novembre 1843 Bisentelluccio
RoccaSerra revient de sa maison de campagne, quand au lieu-dit
'Giargalella' à environ un kilomètre de Sartène, des coups de feu
l'atteignent.
Transporté chez lui, avant de mourir, il déclare n'avoir pas vu ses
agresseurs
et ne porter de soupçons sur personne. Comme on a vu deux hommes sortir
de
l'embuscade, la renommée claironne les noms des assassins présumés.
Avant de
mourir, Bisentelluccio
lance cette phrase pleine de dignité à son meurtrier inconnu "montres-moi
ta main et je te pardonnerai".
Dès que parvint à Sartène la nouvelle du crime, on vit s'ouvrir sur la
place de
Porta les fenêtres depuis longtemps closes de la 'casa longa' de l'abbé
Pietri.
Le cortège funèbre fît un détour pour se rendre à l'église et l'on fît
une ouverture
dans le mur de l'église qui longe le chemin de Ste-Anne, afin de ne pas
donner
à l'abbé Pietri,
qui s'était installé à sa fenêtre comme au spectacle, la satisfaction
de voir
passer devant lui le cadavre du meurtrier de ses neveux.
Le lieutenant de gendarmerie de Sartène écrit au préfet de Corse le
surlendemain 26 novembre: "J'ai l'honneur de vous rendre compte que
le
24 de ce mois, vers une heure de l'après-midi, monsieur RoccaSerra
Jérôme, dit le Bisenteluccio, propriétaire, demeurant à Sartène, a
été tué
sur la route Royale, qui de Sartène conduit à Propriano, au lieu-dit
Jargalella, à un kilomètre de Sartène, à l'aide de trois coups d'armes
à feu
dont trois balles lui ont percé les reins et deux autres l'ayant
atteint à
l'épaule gauche sont sorties au-dessous du téton droit. Les assassins
de
monsieur RoccaSerra
étaient deux. On les a vu fuir, mais ils n'ont pas été connus. Monsieur
RoccaSerra
ayant survécu près de cinq heures à ses blessures a déclaré n'avoir pas
vu ses
assassins et il n'a pu fournir le moindre soupçon sur personne.
Cependant, dans
la soirée du 22 courant, il aurait confié au maréchal des logis Monti
de la résidence de Sartène qu'il était sûr qu'on allait l'assassiner un
jour ou
l'autre, attendu qu'il y avait des bandits qui lui en voulaient et que
ces
bandits étaient Tramoni,
dit Muzzichello, Jean
Pedinelli de Belzèse et Cicchino
Tramoni, non prévenu, père du bandit Tramoni dit Calzarone tué en
Sardaigne. Il n'a pas voulu confier au maréchal des logis Monti
les motifs pour lesquels ces trois individus en voulaient à ses jours".
[1]
Les Santanninchi= les 'blancs', partisans des Bourbons.
[2]
Oratoire Sainte-Anne, qui avait servi d'église paroissiale
pendant la reconstruction de l'église Sainte-Marie qui s'était écroulée
le
30/06/1765.
[3]
Les Borghegiani= les 'rouges', libéraux.
[4]
Un des enfants de Anton-Pier-Andrea d'Ortoli.
[5]
Oncle germain de François-Xavier
Pietri
et grand-oncle de Anton-Maria
Orsini.
[6] Le jury criminel fut rétabli en Corse par ordonnance du 12/11/1830, sur l'insistance de l'avocat Patorni et de l'ex-préfet
Anton-Giovanni Pietri.
[7]
Les frères Ortoli d'Olmiccia, non-identifiés.
[8]
Cento-parole
RoccaSerra dans l'épisode de 'Furconi', Michele
Durazzo et Paul-Marie
Susini dans l'épisode Propriano.
[9] Anton-Maria
Orsini,
Bruninio
Orsini et Anton
Orsini.