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Famille Rocca Serra : Famille Pietri : Famille Ortoli : Famille Susini : Familles Durazzo et Carabelli : Les autres protagonistes

 

I A la veille des évènements

        En 1824 à la mort du roi Louis XVIII (dynastie des Bourbons), c'est son frère le comte d'Artois qui lui succède et est sacré à Reims en mai 1825 sous le nom de Charles X. En juillet 1829 le gouvernement de Charles X est mis en minorité pour la seconde fois, et en novembre le roi nomme un 'ultraroyaliste', le prince Jules de Polignac, président du Conseil des Ministres. Celui-ci est très impopulaire. Dès la rentrée parlementaire de mars 1830, il entre en conflit avec la Chambre menée par 'l'adresse des 221', et le roi, prenant parti pour son ministre et ami, dissout celle-ci. Les élections du 21 juillet 1830 sont caractérisées par une montée de l'opposition qui passe de 221 à 270. Le 25 juillet 1830, poussé par Polignac, Charles X promulgue 'les Quatre Ordonnances' –suppression de la liberté de la presse, dissolution de la nouvelle Chambre non encore réunie, modification du régime électoral, convocation des électeurs pour les 6 et 13 septembre–. Paris répond à ces mesures en se soulevant dès le 27 juillet, le 29 Charles X se décide à renvoyer Polignac: trop tard 'les Trois Glorieuses' ont balayé les Bourbons et le 9 août Louis-Philippe est roi.

        En 1830, Sartène est une sous-préfecture de deux mille cinq cents habitants en pleine expansion géographique et démographique. Le centre ville, cerné par les vestiges d'anciens remparts, est caractérisé par ses ruelles étroites et voutées, ses escaliers, qui lui donnent un aspect austère, 'la plus corse des villes corses' dira Prosper Mérimée.
Suite aux évènements survenus à la tête du pays, le peuple français est politiquement divisé, Sartène ne déroge pas à la règle. Le parti de Sainte-Anne[1] 'i Sant'Anninchi' rassemble des branches des familles installées sur la place du même nom près de l'ancienne chapelle[2]: RoccaSerra, Durazzo et Pietri. A leur tête, le maire depuis six ans,  Ugo-Vincentello RoccaSerra soutenu par le sous-préfet Antoine-François-Marie Péraldi qui est locataire de Giovan-Paolo Durazzo. Le parti du Borgo[3] 'i Borghegiani' rassemble des branches des familles Ortoli, Susini et Pietri (familles fondatrices de Sartène 300 ans auparavant), menées par Anton-Pier-Andrea Ortoli.
La plupart des individus de chacune de ces cinq familles font partie d'une classe dirigeante de gros propriétaires terriens que l'on appelle les 'sgios'. C'est grâce aux rapports de leurs vastes domaines qu'ils ont pû financer leurs reconnaissances de noblesse italienne/génoise par la France dans les années 1770.
Comme dans n'importe quel village de France les conflits y sont fréquents, sur les trente dernières années cinq d'entre eux ont particulièrement marqué les esprits sartenais et peuvent laisser présager de ce qu'il va se passer:
- En 1803 Pietro Pietri, oncle du juge Pietro-Maria Pietri, fut assassiné et l'on attribua ce crime à Giovan-Paolo Durazzo et Pietro-Paolo Durazzo qui ne seront pas inquiétés.
- En 1805 (ou 1806) le berger Simon Bounna fut assassiné et l'on imputa ce crime à Giovan-Paolo dit Paoluccio RoccaSerra et Giovan-Paolo dit Biscottelluccio RoccaSerra qui ne seront pas plus inquiétés que les précédents.
- Les 7 et 14 octobre 1810 les bans de mariage de la très riche Angela-Maria Ortoli et Giuseppe-Maria Ortoli furent publiés avant que la future épouse dise non au futur époux que sa famille tente de lui imposer. Les 2 et 9 août 1812 les bans de mariage de la même Angela-Maria Ortoli et Filippino RoccaSerra  furent publiés contre l'avis de plusieurs de ses parents qui soupçonnent l'avidité de l'époux. Ces derniers entamèrent une procédure judiciaire pour empêcher ce mariage en la faisant passer pour folle, en vain car le 3 décembre le mariage fut célébré. En 1820 la justice s'intéresse toujours aux conditions de ce mariage.
La très longue inimitié entre les RoccaSerra et les Ortoli ne peut être passée sous silence pour expliquer les évènements à venir. Comment expliquer qu'il ait fallut attendre 200 ans entre le premier mariage entre un RoccaSerra et une Ortoli (1604) et le seond (1812) (cf Annexe Rocha Serra/da Ortolo). De même en 1815, suite à la 2nde abdication de Napoléon, les partis s'entendent pour éviter une guerre civile (cf Annexe 1815), sauf les Ortoli et certains Pietri. Ou quand les conflits familiaux se mêlent à la politique!!!
- Le 2 mai 1814 sous l'Empire, le sous-préfet Giovan-Battista-Federico Susini était un ami des borghegiani, Paolo-Maria Susini, son neveu issu de germain et cousin germain du maire, l'assassina et malgré les conclusions à mort du Ministère public fut acquitté par la Cour de justice criminelle en 1818.
- Le 11 octobre 1816 Pietro Susini fut assassiné par Vitale Durazzo et Clementino RoccaSerra et les coupables condamnés à mort par contumace, la sentence ne sera jamais exécutée.
Ces quatre meurtres attestent de la suprématie et de l'impunité dont jouissent les familles Rocca Serra et Durazzo.

        En juillet 1830, le sous-préfet Péraldi s'est rendu à la préfecture d'Ajaccio, accompagné des trois Grands Electeurs de Sartène (Paoluccio RoccaSerra, le juge Pietro-Maria Pietri et l'ex-préfet impérial du Golo Anton-Giovanni Pietri), pour l'élection législative du 21 juillet 1830, qui élit Alesandro Colonna d'Istria et un certain Roger (l'intérim de la Sous-préfecture étant confié à Vincent Ortoli de Tallano, un proche des RoccaSerra, membre du Conseil d'arrondissement). Le 5 août 1830 la Chambre des députés annule l'élection du 21 juillet pour irrégularités, seront élus le général vicomte Tiburce Sebastiani et Jacques-Pierre Abbatucci. La situation semblant stabilisée, Péraldi qui a vu son mandat de sous-préfet confirmé en profite pour prendre son congé à Ajaccio.

II Emeute à Sartène

        Le 12 août 1830 arrive à Sartène la nouvelle du changement de gouvernement et l'ordre du préfet d'arborer le drapeau tricolore. Le maréchal des logis Sabiani arbore le drapeau à la caserne et le peuple l'arbore lui-même sur le clocher de l'église paroissiale et au couvent. Le maire Ugo-Vincentello RoccaSerra fait appeler le maréchal des logis Sabiani et l'invite à enlever de la caserne le drapeau tricolore, sinon lui maire arborerait le drapeau blanc, prétextant que le nouveau gouvernement ne pouvait point durer, que c'était 'le gouvernement du roi Théodore'. Le maire assemble le Conseil municipal et propose, appuyé par Paoluccio RoccaSerra, le juge Pietro-Maria Pietri, Giovan-Paolo Durazzo et son fils Policarpe, de faire ôter le drapeau du clocher, mais la majorité leur fait comprendre qu'ils risquent de s'attirer les foudres du peuple, finalement le drapeau est retiré de la caserne mais reste sur le clocher. Lors de ce même Conseil municipal Anton-Pier-Andrea Ortoli lance à Ugo-Vincentello "nous ne vous reconnaissons plus comme maire", Raphaelle Ortoli reproche alors à son père ces paroles et prie le maire de les excuser. Le soir du même jour la nouvelle et l'ordre d'arborer le drapeau sont officiellement transmis par le colonel de gendarmerie, le maire fait une proclamation pleine de sagesse et de patriotisme, et le drapeau tricolore est partout arboré. Des réjouissances sont organisées auxquelles le maire ne prend pas part. Le 14 le peuple décide, comme c'est l'usage lors des fêtes, d'élever et de brûler un mai. Il est d'usage que le maire y mette le feu, mais le peuple s'y oppose et tente même de l'empêcher d'y assister. Finalement c'est grâce à l'intervention notamment du président du Tribunal de 1ère instance de Sartène Toussaint Nasica et du procureur du roi Fournery, et accompagné de Raphaelle Ortoli et des mêmes que Ugo-Vincentello peut assister aux festivités. Le 15, le bruit ayant couru que le sous-préfet Péraldi était rentré nuitamment à Sartène, le peuple s'assemble sur la place de Porta dans l'intention de descendre à Ste-Anne et de le chasser de la ville. Et c'est encore par la médiation de Fournery, Nasica et Ortoli, qui assurent que Péraldi est toujours à Ajaccio, que le calme revient. A cette occasion les santanninchi ne bougent pas, mais n'hésitent pas à dire qu'ils auraient pris la défense de Péraldi s'il avait été présent.
Le changement de régime voit l'intérim de la Sous-préfecture confié à Anton-Pier-Andrea Ortoli. La crainte de perdre le pouvoir s'installe chez les roccaserristes, tandis que l'espoir d'un changement motive les ortolistes. Au début du mois Giacomo-Filippo Abbati, seul débitant de poudre à feu à Sartène, a vendu à François-Xavier Pietri, neveu de l'ex-préfet Anton-Giovanni Pietri, trois kilogrammes de poudres, à Alphonse RoccaSerra deux kilo et à Michele Durazzo un kilo, le 3 septembre il en vendra de nouveau à François-Xavier Pietri deux kilo, aux mêmes et à la même époque il vendra vingt cinq ou trente livres de balles. Il en vend aussi à beaucoup d'autres maisons mais en plus petites quantités. Vers le 10 septembre Anton-Francesco dit Coppio Durazzo sera envoyé à Bonifacio par son oncle Ugo-Vincentello, il en reviendra avec environ cinquante livres de poudre.

        Le 18 août Anton-Pier-Andrea reçoit l'ordre du préfet par intérim Honoré Jourdan du Var d'organiser une garde nationale. Le maire et son parti s'opposent à cette organisation en disant qu'une telle formation n'est ni utile ni convenable et que cela revient à donner le pouvoir à un ramassis de factieux, le juge Pietro-Maria Pietri ajoute que si la garde est formée elle ne passera pas dans Sartène mais qu'eux s'y promèneront. Le maire écrit au préfet que tout est paisible et que les tribunaux rendent la justice. Face à cette opposition, Anton-Pier-Andrea écrit à son tour au préfet pour lui demander ce qu'il doit faire mais les réponses sont lentes et évasives. Le 7 ou 8 septembre un des enfants Ortoli[4] parcourre la ville à la tête d'une farandole aux cris de 'vive Napoléon, vive la Charte, vive le Roi, vive la Liberté'. Ce groupe de jeunes gens arrivés sur la place publique, on dit alors que le général Sebastiani vient en Corse comme commissaire organisateur, que tous les emplois étaient distribués à ses amis ou adhérents, qu'on devait former la garde nationale, et que tous ceux qui y auraient des grades les conserveraient ensuite dans la troupe de ligne. Le 8 septembre, Anton-Pier-Andrea forme une commission administrative (conformément à la loi de 1790) destinée à la formation de la dite garde et invite par voie d'affichage tous ceux qui veulent en faire partie à s'inscrire sur les listes. Le 10 septembre, le maire dans une lettre au préfet, demande le retour de Péraldi pour faire cesser l'intérim "humiliant" d'Ortoli. En trois jours une garde nationale, de huit compagnies, composée de gens du Borgo est formée, sans que le maire ne soit invité à participer ni à la formation de la commission ni à celle de la garde. S'en suit l'attribution des grades et l'on prête serment avant même que l'établissement de la garde ne soit régularisé et approuvé. Personne au sein des familles liées aux santanninchi n'a reçu d'invitation ni de grade, sauf… l'oncle du maire, Michele RoccaSerra… qui est infirme depuis quelques mois.
La garde nationale est ainsi constituée:
    Commandant Giovan-Paolo dit Capo d'orso Rosolani
    Capitaine Pierre-Marie Susini
    Jacques Casanova
    Paolo-Natale Peretti
    Alesandro Bradi
    Jules Pietri
    4 bergers de l'Ortolo
    Capitaine Sebastiano Pietri
    Lieutenant Pietro Pietri
    Jean Lucciani
    Capitaine Camille Pietri
    Capitaine Paul-Marie Susini (de la 3è cie)
    Capitaine Antoine-Jean Rosolani
    Capitaine Anton-Pietro Pietri
    Capitaine
Giacomo-Andrea Ortoli
    Adjudant-major Paolo-Francesco Ortoli
    Adjudant Giacomo-Alfonso Susini
    Lieutenant Anton-Giovan-Paolo dit Bongiorno Susini
    Lieutenant Anton-Francesco Ortoli
    Lieutenant Ettore Bartoli
    Lieutenant Etienne-Antoine Pietri
    Sous-lieutenant: Paolo-Giuseppe Susini
    Sous-lieutenant: Giovan-Battista Susini
    Sous-lieutenant: Antoine-Marc Pietri
    Soldat Vincent Susini
    Soldat Ange-Marie Pietri

        Le 15 septembre le bruit se répand rapidement que Péraldi doit débarquer le lendemain à Propriano, et qu'il se dispose à reprendre son poste à la Sous-préfecture, au besoin par la force. Dans la soirée les officiers de la garde nationale sont réunis chez Anton-Pier-Andrea, le capitaine Camille Pietri prend le premier la parole et dit que l'objet de leur réunion a pour but l'arrivée du sous-préfet Péraldi, que l'on ne doit pas permettre son entrée dans la ville attendu qu'il est l'auteur des désordres précédents survenus dans la ville. Giovan-Battista Susini fils aîné du juge Giacomo-Antonio répond qu'il peut arriver jusqu'à la fontaine, qui est l'entrée du pays, avec les personnes qui désirent l'accompagner, mais qu’à partir de ce lieu le sous-préfet doit entrer seul. L’adjudant-major Paolo-Francesco Ortoli répond que pour sa part il ne doit y entrer d'aucune manière. Le commandant Capo d'orso Rosolani ajourne la réunion au lendemain pour en déférer au comité, ajoutant que chacun devrait être prêt le lendemain au premier coup de tambour. Mais le capitaine Pierre-Marie Susini prend la parole et dit que toute personne est libre d'entrer dans la ville, et que si on ne veut pas le reconnaître comme sous-préfet on doit au moins le regarder comme un privé, et il ajoute qu'il descendra lui-même le chercher à Propriano. Vers 21h, le juge de paix Paolo-Maria Susini reçoit la visite de Capo d'orso et du capitaine Sebastiano Pietri qui l'informent de l'arrivée imminente de Péraldi, et que les santanninchi s'apprêtent à aller à sa rencontre avec de nombreux gens armés étrangers à Sartène qu'ils doivent faire venir des différents pays voisins. Le juge de paix accède à leur prière d'intervenir auprès des santanninchi pour que le sous-préfet n'arrive point avec une telle escorte mais en compagnie de quelques personnes sans avoir recours aux étrangers, et par ce moyen la tranquillité en ville serait maintenue.

        Très tôt le matin du 16 Jerome dit Bisentelluccio RoccaSerra se rend au moulin de Pietro Pietri et se fait remettre par force une corne marine par le fils du meunier Pierre Mozziconacci. Vers 6h toujours du matin quelques officiers de la garde nationale, Antoine-Jean Rosolani, Giacomo-Andrea Ortoli, Sebastiano Pietri, Anton-Fioravante Pietri et Etienne-Antoine Pietri, qui se promènent à Liccioli du coté de la maison de l'ex-préfet Pietri, aperçoivent un attroupement de gens armés sur la place Ste-Anne. Ils distinguent successivement Michele Durazzo et Bisentelluccio qui sonnent 'il corno di la rivolta, le cor de la révolte', ainsi nommé parce que c'est le signal de tous les mouvements révolutionnaires, et s'empressent d'aller en informer Capo d'orso Rosolani.
Il est 6h30, sur ordre du commandant Capo d'orso Rosolani, le tambour Giovan-Battista Pachel entame le tour de la ville pour battre le rappel de la garde nationale. Après avoir dépassé la place de Porta en direction de Ste-Anne il arrive à la hauteur de la maison de Anton-Pier-Andrea où il est arrêté par Giovan-Paolo dit Cento-parole RoccaSerra qui lui ordonne avec menaces "torna in dietro o ti ammazzeremmo, retourne en arrière ou nous te tuerons". A la demande du commandant de la garde nationale, Anton-Pier-Andrea requiert du maréchal des logis Jean-Baptiste Valle une escorte pour que le tambour puisse continuer de battre le rappel, ce dernier envoie les gendarmes Jean Brocas et Pierre-Etienne Bertrand. Le tambour, ainsi accompagné, reprend sa marche mais arrivé à Ste-Anne le maire et un de ses frères l’arrêtent. Le frère du maire dit au tambour en montrant l'ormeau "vois tu cet arbre, nous allons t'y pendre". Le maire le force à jouer et, au motif qu'il est maire donc chef de la police, lui confisque sa caisse en disant que ce n’est pas un tambour de garde nationale mais un tambour révolutionnaire. La place est remplie de gens armés, le maire tient d'une main deux stylets et de l'autre deux cannes à épée, le frère du maire ainsi que plusieurs autres portent leurs stylets sur la cartouchière, Coppio Durazzo est armé d'un tromblon avec un canon en forme de gueule. Brocas fait observer au maire qu'il a ainsi que les autres des armes prohibées, ce à quoi il répond "cela ne vous regarde pas. Aujourd'hui c'est la liberté on peut porter ce que l'on veut et vous pouvez rentrer dans votre caserne". Sur ce les trois hommes se retirent dans leur caserne.
Ugo-Vincentello fait appeler le maréchal des logis Valle et lui propose que la gendarmerie les accompagne à Propriano chercher Péraldi. Le dit maréchal des logis lui répond qu’il accepte à condition que personne de Ste-Anne ne vienne, mais Giovan-Paolo Durazzo fait remarquer au maire qu'au vu de l'agitation qui règne sur la place de Porta il est préférable que la gendarmerie reste en ville, et Valle se retire dans la caserne. Vers 8h30 le maréchal des logis assiste au premier départ de 4 ou 5 hommes de Ste-Anne pour Propriano. De la place du couvent, Giovan-Battista Susini et trois autres individus veulent tirer sur l'attroupement de Ste-Anne mais ils en sont empêchés par l'abbé Paolo-Maria Pietri.
A défaut de tambour la garde nationale est réunie au son du tocsin sur la place de Porta. Nombreux sont ceux qui, alertés par le tumulte qui règne, s'y rendent et y apprennent qu'il est dû à l'arrestation du tambour et à la volonté des santanninchi d'escorter en nombre et en armes le sous-préfet. En tant que parent commun aux deux partis, l’avocat Jean-Baptiste Ortoli propose à Anton-Pier-Andrea qui l’accepte de servir d’intermédiaire, il se rend donc auprès du maire. Jean-Baptiste rejoint par l'ex-receveur Giuseppe Peretti, également parent des RoccaSerra et des Durazzo, demandent au maire de restituer la caisse à la garde nationale mais celui-ci leur répond que la garde nationale ne le reconnaît pas comme maire, et qu'à son tour il n'entend pas reconnaître la garde nationale. Dans le même temps le juge de paix Paolo-Maria Susini expose au président Nasica l'entretien qu'il a eu la veille au soir et lui demande de le seconder dans sa mission, ils se rendent ensemble à Ste-Anne. Les deux hommes, après un entretien avec Paoluccio RoccaSerra au cours duquel ils tentent vainement de le convaincre de ne pas aller armé au devant de Péraldi, se tournent vers le maire qui est en grande discussion au sujet de la caisse avec l'avocat Ortoli et Giuseppe Peretti (est également présent pour tenter de concilier les parties Anton-Francesco dit Fajato Pietri). Le maire refuse toujours de rendre la caisse arguant qu'il a usé de son droit et que la police de la ville lui appartient, qu'il a d'abord ordonné au tambour de ne point venir dans ce quartier, qu'il y est revenu et qu'alors on lui a enlevé la caisse. Devant leur insistance, Ugo-Vincentello finit par céder, il fait appeler, par le gendarme Bertrand, le maréchal des logis Valle auquel il restitue la caisse contre sa parole d’honneur qu’il la garderait dans la caserne. Valle la prend, la remet au gendarme Carlotti et vont à la caserne, où Valle la place sous son lit.
Ce premier point réglé, les quatre intermédiaires abordent le sujet de l’escorte du sous-préfet Péraldi. Ils communiquent la solution de Capo d'orso Rosolani et du capitaine Sebastiano Pietri pour éviter une escorte armée qu'ils ne peuvent tolérer, à savoir que seules deux ou trois personnes accompagnent le sous-préfet. Giuseppe Peretti propose aux santanninchi d'envoyer quelques uns des leurs réunis à quelques uns de la garde nationale: refusé, il propose alors de s'y rendre lui-même avec le juge de paix Susini et quelques autres: nouveau refus des santanninchi qui soutiennent qu'on ne peut les empêcher d'aller à la rencontre d'un fonctionnaire public et surtout d'un ami.
Face à cette opposition, les médiateurs se rendent place de Porta où il trouve une garde nationale en effervescence car exaspérée que la caisse du tambour ne lui ait pas été rendue. Tous ignorent que quelques instants auparavant Anton-Pier-Andrea, par l’intermédiaire du maréchal des logis Détrié, a ordonné à Valle de restituer la caisse à la garde nationale et de se réunir avec toute la gendarmerie, les deux réquisitions étant immédiatement exécutées. La gendarmerie qui n’a pas bougé du point de ralliement, constatant que le calme est revenu, se retire dans la caserne et les médiateurs peuvent renouer le dialogue avec Capo d'orso Rosolani. Mais celui-ci persiste à vouloir que deux ou trois personnes seulement aillent au devant de Péraldi, et il ajoute que la garde nationale va effectuer une patrouille dans toute le ville. C'est alors que Fajato Pietri propose de soumettre aux santanninchi une escorte composée de lui-même, du juge de paix Susini, de l'avocat Ortoli et du maire. Et c'est avec l'approbation de Nasica et de la garde nationale qu’il se rend à Ste-Anne tandis que les autres intermédiaires négocient et obtiennent un report de la patrouille.
Pendant que les médiateurs sont sur la place de Porta, les hommes armés qui jonchaient la place Ste-Anne descendent à Propriano, parmi lesquels Pietro-Paolo et Bisentelluccio RoccaSerra frères du maire, Paoluccio RoccaSerra et l'ex faisant fonction de sous-préfet Vincent Ortoli de Tallano. Le capitaine de la garde nationale Pierre-Marie Susini, qui la veille s'était quelque peu opposé aux dires des autres officiers et avait annoncé son intention d'aller chercher le fonctionnaire, descend lui aussi avec sa compagnie. Les santanninchi n'étant pas sûrs que Péraldi débarquent précisément à Propriano, Paolo-Francesco RoccaSerra quant à lui descend au lieu dit 'li Stanteri' où il retrouve le maire de Granace Giovan-Simone Leandri auquel il avait donné rendez-vous.
Quand les trois intermédiaires arrivent à Ste-Anne ils constatent parmi ceux qui restent le maire, son frère Paolo-Francesco II, Geronimo RoccaSerra fils de Paoluccio, Jerome RoccaSerra fils de Michele, Giovan-Paolo Durazzo, son fils Policarpe, Coppio Durazzo et Ignazio Durazzo. Fajato Pietri a déjà fait part de son offre à Ugo-Vincentello et celui-ci ne tarde pas à l'approuver ajoutant Paoluccio RoccaSerra à la liste, étant entendu que les santanninchi qui sont déjà à Propriano remonteraient sans former une escorte au sous-préfet. Mais le président Nasica aborde le délicat sujet du passage de la patrouille de la garde nationale par Ste-Anne. Les santanninchi répondent qu'ils s'opposent à toute intrusion dans leur quartier, que le passage de la patrouille à Ste-Anne n’est pas justifié et serait une provocation "nous avons souffert assez d'affronts, nous ne voulons plus en souffrir". D'autres ajoutent "se vengono per qui l'abbiamo da far fuoco, bisogna morire perché sono gente torbida, e non vogliono che farci del male, s'ils viennent par ici nous devrons faire feu, au besoin les tuer parce qu'ils sont gens troubles, et qu'ils ne veulent nous faire que du mal", qu'elle ne passe pas par ici "perche le nostre porte morsicano, parce que nos portes mordent" ou encore "ambi le pierre faranno fuoco, les pierres aussi feront feu".
A la proposition de l'avocat Ortoli de retourner place de Porta, ajoutant qu'il espère obtenir de la garde nationale qu'elle ne fasse pas de patrouille, les quatre médiateurs se rendent auprès de Giovan-Paolo Rosolani. Ils lui exposent que le problème de l'escorte est réglé et qu'il n'y a plus d'attroupement à Ste-Anne. Après les voir écouté, le commandant de la garde nationale maintient son désir de faire une patrouille pour maintenir le bon ordre, et les invite à évoquer la situation avec Anton-Pier-Andrea. Et l'on voit Paul-Mathieu dit Capicchia Quilichini traverser la place de Porta tenant une hache à la main (hache qui lui avait été remise dans la matinée par le médecin Anton-Fioravante Pietri pour descendre à sa vigne garder la vendange et greffer des poiriers), disant en riant qu'il veut accompagner la patrouille avec sa hache, mais le capitaine Sebastien Pietri ou le commandant Capo d'orso Rosolani lui répond "vas-t-en nous n'avons pas besoin de hache".
Voici donc Nasica accompagné du juge de paix Susini, Fajato Pietri et l’avocat Ortoli, exposant leurs craintes au sous-préfet par intérim qui leur répond que lui-même ne voit pas la nécessité de faire une patrouille mais qu’il ne voit pas non plus pourquoi empêcher la garde nationale de la faire si elle la juge nécessaire, il estime seulement légitime de verbaliser le maire pour son action envers le tambour et pour l’attroupement qu’il a provoqué dans son quartier et de soumettre cela à la décision du préfet. A la prière de Nasica, le faisant fonction de sous-préfet se rend sur la place de Porta pour faire part au commandant Rosolani de son avis. Mais Rosolani n’en démords pas, la patrouille est indispensable dans le cadre du maintien de l’ordre.
Deux médiateurs quittent la place, seuls Nasica et Paolo-Maria Susini tentent encore de retenir un par un les gardes nationaux qui sont déjà en marche. Bientôt le juge de paix Susini se retire également et c'est le conseiller-auditeur Susini qui a son tour tente de retenir la garde nationale. Anton-Santo Mancini et son beau-frère Giuseppe Pietri persuadent Nasica de s'écarter de cette foule et le ramènent chez lui, seul le conseiller-auditeur Susini continue et parvient à faire faire demi-tour à la garde nationale qui était déjà à la hauteur de la maison d'Anton-Pier-Andrea.
A Ste-Anne ce faux départ de la patrouille n'était pas passé inaperçu. Paolo-Francesco II RoccaSerra frère du maire, se promenant avec l'abbé Tramoni sur la place de Porta et voyant la garde nationale prête à s'engager sur le chemin de Ste-Anne, avait rejoint son quartier et s'était écrié "la garde nationale approche". Coppio Durazzo et le même Paolo-Francesco II, le premier armé d'un tromblon, le second d'un fusil, s'étaient ensuite réfugiés dans la maison de la veuve Felice Durazzo, et Paolo-Francesco II avait dit à l'autre "lampati all'archere, prend place aux créneaux".
11h, Anton-Pier-Andrea ordonne à la gendarmerie de s’unir à nouveau à la garde nationale sur la place de Porta pour faire ensemble une patrouille dans la ville. Pourquoi avoir fait appel à la gendarmerie? Au sein même de la garde nationale les avis divergent, certains l'expliquent par un soucis de légitimité, d'autres pensent que c'est pour montrer leur pacifisme, d'autres encore pensent que c'est pour renforcer la patrouille. La patrouille est composée pour la garde nationale de trente à quarante hommes et pour la gendarmerie de deux maréchaux des logis et six gendarmes.
Avant le départ le commandant Capo d'orso Rosolani dit à ses hommes "il s'agit de faire une patrouille pour la tranquillité, soyez tranquilles, vous ferez le tour de la ville, vous passerez", "se vi maltrattano di parole lasciateli dire, se vi battono vi difenderete, s'ils vous agressent verbalement laissez les dire, s'ils vous frappent défendez-vous", "nous avons la justice avec nous elle saura faire son devoir".
A 11h30, en rang par deux, la garde nationale commandée par le capitaine Sebastiano Pietri, qui a estimé que la présence du tambour n'était pas souhaitable, entame sa ronde de la place de Porta en direction de Ste-Anne, suivie à quelques pas de la gendarmerie.
En tête de colonne le capitaine Antoine-Jean Rosolani avec à sa droite le lieutenant Ettore Bartoli, au second rang le capitaine Sebastiano Pietri avec à sa droite le lieutenant Etienne-Antoine Pietri, suivis des autres officiers parmi lesquels: le lieutenant Pietro Pietri, le capitaine Camille Pietri, le capitaine de la 3è cie Paul-Marie Susini, le capitaine Anton-Pietro Pietri, le capitaine Giacomo-Andrea Ortoli, l'adjudant-major Paolo-Francesco Ortoli, l'adjudant Giacomo-Alfonso Susini, le lieutenant Bongiorno Susini, le sous-lieutenant Paolo-Giuseppe Susini, le sous-lieutenant Giovan-Battista Susini, le sous-lieutenant Antoine-Marc Pietri, et de leurs hommes respectifs. Pour la gendarmerie, les maréchaux des logis Valle et Détrié et les gendarmes Brocas, Carlotti, Bertrand, Guerignon, Gignan et Chabrand.
        Sur le chemin de Liccioli, un autre quartier de Sartène, non loin de la maison de l'ex-préfet Pietri où vit François-Xavier Pietri, pendant les dernières négociations, Dominique-Victoire Susini est à sa fenêtre avec sa domestique Genevieve Boucher, observant le dit François-Xavier et Camillo Casanova qui se promènent près de la place du dit Casanova. François-Xavier disait qu'il régnait de l'agitation à propos de l'arrivée de monsieur Péraldi, que les uns le voulaient que les autres ne le voulaient pas, ajoutant "ne nous mêlons pas des affaires des autres, et restons tranquilles". Ils sont rejoints par Valerius Susini et Pietro dit Zampaglino Pietri tandis que Jean-Charles Susini sort sur le pas de sa porte. Quand, voyant la patrouille prendre le chemin de Ste-Anne, Dominique-Victoire Susini dit "voilà la garde nationale", François-Xavier réplique "dites plutôt, madame, la garde séditieuse". A ce moment Jean-Charles Susini quitte le seuil de sa porte et se met à sa fenêtre.
Dans un autre quartier encore, le juge Giacomo-Antonio Susini et son fils Giovan-Battista sortent du Palais de Justice armés, armes qui étaient probablement des pièces à conviction qu'ils ont prises au greffe du Tribunal.
        Le calme règne sur la place quasi déserte de Ste-Anne. Aux abords de la chapelle, Tecla la femme du maire et Laura Leonardi installent quelques planches pour faire sécher du raisin au soleil, Ignazio Durazzo traverse la place. Quand ils voient les premiers rangs de la garde nationale arriver, chacun rentre précipitamment chez lui. Jerome RoccaSerra fils de Michele lance "adesso ci sono, maintenant ils y sont" et Ignazio Durazzo "alle armi, aux armes", Angeline-Marie dite Santannuccia Pietri qui ne s’est pas encore mise à l’abri s'écrie "attendez".
Disposées sur la gauche, en demi-cercle, il y a d'abord la maison de Anton-Goffredo dit Tatello RoccaSerra puis celle de la veuve Felice Durazzo, et celle de Policarpe Durazzo, à gauche et un peu derrière la maison de Giovan-Paolo et Ignazio Durazzo, à gauche et à coté la maison du maire que suit celle de Paoluccio RoccaSerra, et au-delà la chapelle du même Paoluccio, enfin à droite de l'autre coté du ravin la maison de l'ex-préfet Pietri et celle des frères Cento-parole et Anton-Goffredo dit Stellato RoccaSerra. A cet instant se trouvent,
    - chez Tatello RoccaSerra: Tatello RoccaSerra, Filippino et Paolo-Francesco dit Sialagone ses fils, Pietro Pietri de feu Michele et Ugo-Vincentello, qui était venu demander à son oncle Tatello un cheval pour descendre à Propriano comme convenu avec les médiateurs
    - chez la veuve Felice Durazzo: Coppio Durazzo, Paolo-Francesco II RoccaSerra le frère du maire, Vincentello Colonna d'Istria de Sollacaro
    - chez Policarpe Durazzo: Policarpe Durazzo
    - chez Giovan-Paolo Durazzo: Giovan-Paolo (un témoin dit l'avoir vu à la fenêtre de Policarpe Durazzo?), Michele Durazzo et Jean-Baptiste Paoli tous deux de Fozzano
    - chez le maire: Tecla RoccaSerra, l'abbé Giovan-Agostino RoccaSerra de Levie, deux bergers Jean-Baptiste Lucchini et Simon dit Bongiorno Codaccioni et le valet de ville Philippe Leandri
    - chez Paoluccio RoccaSerra: Geronimo RoccaSerra le fils de Paoluccio, Giovan-Luca Colonna d'Istria de Sollacaro et Jean-Baptiste RoccaSerra de Porto-Vecchio.
Le premier rang de la patrouille, ayant dépassé l'ormeau, arrive à huit pas de la chapelle face à la maison du maire, la femme du maire Tecla se tient dans l'encadrement de sa porte d'entrée, le battant droit de la dite porte fermé. Anton-Silvestro Susini, un des nombreux enfants qui accompagnent la garde nationale, aperçoit Coppio Durazzo qui tient son fusil en joue pointé vers la garde nationale, et crie à son oncle Rosolani "o zio Anton-Giovanni che vi ammazzano salvatevi, oh oncle Antoine-Jean ils vous visent sauvez-vous". Antoine-Jean se retourne et vois partir un coup de feu d'une des maisons Durazzo qui vient frapper Sebastiano Pietri (la blessure a son entrée à la partie gauche et postérieure du col et va sortir à la partie inférieure tout prés de l’œsophage), il réplique en déchargeant son fusil contre la maison du maire, ses deux balles s'encastrant dans le battant gauche de la porte, avant de s'enfuir avec Ettore Bartoli par le chemin entre la maison de Paoluccio et la chapelle. Sebastiano se relève, tentant de fuir, mais retombe après quelques pas face à la chapelle (il sera emmené chez Fajato Pietri avant d'être transporté chez lui).
De chez Tatello RoccaSerra, le maire qui a assisté à la scène s'écrie "fate fuoco a questi assassini, o la mia povera famiglia, faites feu à ces assassins, oh ma pauvre famille", Tatello qui était encore couché se lève et dit "siano ruinati et disfatti, ils sont ruinés et défaits". C'est alors qu'une première fusillade part de toutes les maisons de Ste-Anne, à l'exception de celle de Marabotti, contre la GN qui réplique (les deux maisons déjà citées qui font face à Ste-Anne ainsi que la chapelle tirent également sur la patrouille). Anton-Giovan-Paolo Susini est le second blessé (la blessure a son entrée à la partie gauche et supérieure du col, lui traverse les vertèbres, et va sortir à la partie droite et supérieure du col), touché par un coup de feu émanant de la maison de Tatello, d'où Pietro Pietri et le maire ont tiré simultanément, et si l'on en croit ce que dira la victime au capitaine Paul-Marie Susini "Gesu e Maria, o Paolo-Maria, che sono morto, che dovevo io al figlio del signor Giovan-Paolo Biscottelluccio, non dovevo ne sangue ne acqua, Jésus et Marie, oh Paul-Marie, que je sois mort, que je le dois au fils du sieur Giovan-Paolo Biscottelluccio, je ne lui devais ni sang ni eau". Trois autres blessés, Paolo-Francesco Ortoli victime d'un tir provenant de la maison de Paoluccio RoccaSerra (d'un coup d'arme à feu du calibre de 20 ou 22 environ à la partie intérieure et supérieure droite de la poitrine tout prés de l'humérus ayant son entrée directe un peu de haut en bas, et sa sortie par derrière à la partie supérieure prés de l'épaule de la même partie droite), Giacomo-Alfonso Susini victime d'un tir provenant de la maison Pietri (plusieurs légères blessures dans la partie externe de la cuisse droite ainsi que dans les fesses, produites avec du petit plomb) et Giacomo-Andrea Ortoli (plusieurs légères blessures dans la partie droite du visage et du col correspondant, produites avec du petit plomb). Tel est le bilan de la première fusillade.
La gendarmerie arrive à son tour sur la place criant "respect à la loi, respect à la justice", en vain car elle est reçue par une seconde fusillade qui se solde par deux blessés dans ses rangs. Brocas victime d'un coup de feu tiré de chez Paoluccio, de la chapelle ou de la maison Pietri (blessure à la tête derrière l'oreille gauche ayant un pouce et demi de profondeur et la direction directe un peu transversalement vers la partie extérieure, produite par un coup d'arme à feu du calibre de 18 à 20 environ). Chabrand maintiendra, après s'être contredit, que le coup qui l'a touché venait de la maison Pietri (blessure tegumentale à la partie externe et supérieure de la fesse droite, tout prés du grand trogantere, de deux pouces environs de longueur, reçue transversalement).
Après ces deux fusillades les tirs continuent et chacun cherche à se mettre à l'abri. Certains prennent la fuite, d'autres notamment les gendarmes se réfugient derrière des tas de pierres, la forge ou le four, d'autres rentrent chez eux comme Paolo-Francesco Ortoli, d'autres se cachent dans l'église comme le lieutenant Pietro Pietri qui y restera trois heures, d'autres encore se réfugient dans les maisons alentours comme les soldats Jean-Baptiste Serra, Giuseppe-Maria Istria, Anton-Guglielmo Pietri, Ange-Marie Pietri, Vincent Susini et le lieutenant Etienne-Antoine Pietri chez Charles-Laurent Pietri où ils resteront vingt quatre heures, d'autres notamment des gardes nationaux vont au couvent, continuant le combat.
        Tandis qu'à Ste-Anne les premiers coups de feu retentissent, sur la place de Camillo Casanova, François-Xavier, Camillo, Valerius et Zampaglino se mettent à l'abri dans un chemin creux qui conduit à l'écurie de Camillo. Chez François-Xavier, c'est-à-dire dans la maison de l'ex-préfet Anton-Giovanni Pietri, son neveu Anton-Maria Orsini est en compagnie de Anton Pietri, inquiet il s'empare d'un fusil pour aller chercher son oncle mais sa grand-mère Maria-Felice Pietri (cousine germaine de La Colomba de Mérimée) l'en empêche. Peu après Camillo dit à François-Xavier "fuggi a casa e serra le tue porte, rentre chez toi et ferme tes portes" et à ces mots François-Xavier courut chez lui, tandis que Valerius et Zampaglino se réfugient chez Casanova. François-Xavier arrive chez lui en même temps que son oncle à la mode de Bretagne Giovan-Felice Panzani qui vient de quitter Giovan-Battista Susini fils du juge Giacomo-Antonio, et que les gendarmes qui ont fuis (considérant qu'ils ne sont pas assez forts pour repousser la force qui leur était opposée, ni pour parvenir à l’arrestation des criminels, ni pour rétablir la tranquillité) atteignent le lieu-dit 'Vignarella' sur le chemin qui mène de Ste-Anne à la caserne.
Anton-Francesco Ortoli est alors à sa fenêtre du premier étage d'où il a vu François-Xavier rentrer chez lui, puis il voit le même et Anton-Maria sur le balcon de la galerie déchargeant leurs fusils à deux coups sur Ste-Anne. En ce moment Paolo-Francesco Ortoli blessé tente de rentrer chez lui, et craignant que les tirs de la maison Pietri ne s'oriente sur son frère Anton-Francesco saisit un tromblon à défaut d'autre arme et le décharge contre la dite maison Pietri. L'arme le rejette par terre (contusion à l'avant bras).
Plusieurs individus, sans appartenir ni à la garde nationale ni à la gendarmerie, participent aux échange de tirs qui suivent les fusillades. On a déjà vu le juge Giacomo-Antonio Susini et ses fils qui s'étaient armés avant même que le premier coup de feu n'ait éclaté à Ste-Anne, ils tireront régulièrement notamment de la place du couvent et du couvent. De même on tire et tirera de chez Giovan-Tomaso Susini. Il y a également Giovan-Battista Susini de Barnabe qui juste après la fusillade se poste derrière un cerisier au lieu-dit 'Vignarella' et tire sur Elisa Durazzo, avant de se rendre au couvent d'où il tire à nouveau contre la même personne. Faut-il voir dans cette mobilisation des Susini la volonté de venger les assassinats de 1814 et 1816 déjà cités?...
        En début d'après-midi, alors que les bruits des coups de feu retentissent toujours à Sartène, le sous-préfet Péraldi débarque à Propriano. Il y a un entretien avec le receveur des douanes monsieur Emilj qui lui suggère de ne pas se rendre à Sartène, invoquant que l'annonce de son retour était la cause des troubles qui s'y produisent depuis le matin et que son entrée effective dans la ville ne pourrait qu'aggraver, argument qu'il rejette estimant au contraire que son arrivée en tant que sous-préfet calmerait les esprits. Péraldi et son escorte d'une centaine d'hommes prennent la route de Sartène. En chemin une partie de son escorte, issue des villages de Viggianello, Bilia, Sorbollano, Levie, Serra, Quenza, Olmiccia, Ste-Lucie, le quitte pour rentrer dans leurs pays, tandis que Paolo-Francesco RoccaSerra, qui ne le voyant pas arriver avait quitté 'li Stanteri', le rejoint. C'est à 16h, accompagné d'une vingtaine d'hommes et aux bras de l'ex sous-préfet par intérim Vincent Ortoli de Tallano et de Paoluccio RoccaSerra, que Péraldi arrive à la fontaine à l'entrée de Sartène, par mesure de sécurité on lui fait faire un détour par le jardin de Jean Durazzo de Campo-Moro pour déboucher à Ste-Anne où il se rend directement dans ses appartements chez Giovan-Paolo Durazzo. Dans la soirée Péraldi entame une série d'entretiens avec, entre autres, le capitaine du 10ème régiment d'infanterie en garnison à Sartène Armand-François Gillet de Laumont (qui dans la matinée avait annoncé au maire comme à Anton-Pier-Andrea que par soucis de neutralité il ne souhaitait pas intervenir dans l'opposition entre les deux partis) et Ugo-Vincentello.

        Le 17 vers 9h, Anton-Pier-Andrea ayant refusé de rendre la clef du bureau de la Sous-préfecture (pendant deux courriers, Anton-Pier-Andrea et Camille Pietri s'empareront des lettres et paquets adressés au sous-préfet), le sous-préfet, le maire et le juge de paix Paolo-Maria Susini s'apprêtent à forcer la porte lorsqu'une première détonation se fait entendre. Devant sa maison Paoluccio RoccaSerra, ayant pris congé de Anton-Santo Mancini qui est venu lui rendre visite, entame une discussion avec le berger de l'Ortolo Paul Tramoni, lorsqu'il entend aussi l'explosion. Interpellé de la maison de Tatello RoccaSerra à ce sujet il répond que le coup semble venir de la fenêtre dite 'fenestrone' du couvent et qu'il pense qu'il visait Cento-parole RoccaSerra. A peine a-t-il fini sa phrase qu'un second coup l'atteint. Le médecin Giuseppe-Maria Peretti aussitôt appelé constate "une contusion avec une légère excoriation à la partie moyenne de la clavicule droite, et une petite excoriation à la mâchoire droite tout près du menton. Le coup paraissait être parti du haut en bas, et produit par une balle".
Vers 10h sur la place Ste-Anne Bisentelluccio RoccaSerra distribue des balles aux bergers qui sont restés.
La maison Ortoli continuant de faire feu contre la maison Pietri, François-Xavier Pietri demande au maréchal des logis Sabiani de se rendre avec son oncle Panzani auprès de Anton-Pier-Andrea pour l'inviter à cesser le feu. Sabiani s'y rend finalement seul, et quand Ortoli lui dit que de chez Pietri l'on a tiré la veille et que l'on tire encore, il peut attester, car logeant à la caserne de la gendarmerie qui se trouve dans la maison Pietri, qu'on n'a point fait feu ce jour. L'ex faisant fonction de sous-préfet se plie à l'évidence et cesse de tirer contre la maison Pietri.
Ce même jour Sebastiano Pietri décède des suites de sa blessure, la veille il avait dit à ses frères qu'il pardonnait à ceux qui lui avaient donné la mort.

        Pendant trois jours, la ville semble déserte. Les hommes qui ne sont pas chez eux sont cachés derrière des barricades, et le seul signe de vie se résume au son des détonations. Le matin du 20 septembre, le capitaine au 2ème de ligne en garnison à Ajaccio Pierre-Isidore Joly sur ordre du général commandant la division arrive avec deux compagnies pour prendre le commandement des troupes qui s'y trouvent. A son arrivée, accompagné du capitaine Gillet de Laumont, il se rend chez le maire pour l'informer de ses intentions. Ugo-Vincentello leur dit en substance "je vois avec plaisir arriver la troupe de ligne. Vous voici pour rétablir la tranquillité, j'espère qu'elle se rétablira, mais s'ils ne sont pas content nous avons des hommes qui sont cachés là haut, et que vous ne voyez pas. Je puis en moins de vingt quatre heures rassembler mille hommes pour les écraser. Si la justice s'en mêle, cela deviendra une affaire particulière. Nous sommes plus fort qu'eux et nous les arrangerons". Quelques instants après, la garde nationale cède au capitaine Joly les positions occupées à savoir le couvent et le clocher de l'église. Dans le même temps Paoluccio RoccaSerra cède la chapelle au lieutenant de gendarmerie Jean Simoni, arrivé dans la matinée de Ste-Marie-et-Siché avec douze hommes. Le lieutenant prend aussi un arrêté par lequel il ordonne aux étrangers de sortir dans la journée de la ville. Ainsi le calme se rétablit sans heurts.

        Dès le 16 septembre et pendant trois jours le substitut du procureur du roi prés le Tribunal de 1ère instance de Sartène Giovan-Paolo Bradi assisté du marechal des logis Sabiani procèdent à l'audition des blessés et au constat de leurs blessures. Peu après Péraldi démissionne, l'autorité remet les fonctions de sous-préfet à monsieur Ornano, et le 3 octobre Péraldi quitte Sartène. Le 11 octobre le conseiller prés la Cour royale de Bastia faisant fonction de juge d'instruction Jean-Pascal Capelle commence l'instruction (la dernière audition aura lieu le 19 février 1831). Les inculpés au nombre de quinze sont déjà connus:
    Ugo-Vincentello RoccaSerra
    Anton-Francesco dit Coppio Durazzo
    Geronimo RoccaSerra fils de Paoluccio
    Pietro Pietri
    Anton-Goffredo dit Tatello RoccaSerra
    Filippino RoccaSerra
    Paolo-Francesco dit Sialagone RoccaSerra fils de Tatello
    Giovan-Paolo Durazzo
    Policarpe Durazzo
    Ignazio Durazzo
    Paolo-Francesco II RoccaSerra frère de l'ex-Maire
    François-Xavier Pietri
    Anton-Maria Orsini
    Jean-Baptiste Lucchini laboureur et berger demeurant à Croce d'Albitro
    Simon dit Bongiorno Codaccioni berger demeurant à Conca
mais 'ils ont pris le maquis' (Ugo-Vincentello s’est réfugié à Ajaccio, Policarpe à Livourne...).
        Malgré les lettres qu'il reçoit de son frère Bisentelluccio l'informant qu'une instruction est en cours (contre l'avis du sous-préfet Ornano qui avait réclamé une amnistie), qu'un mandat d'amener risquait d'être lancé à son encontre et lui conseillant de se cacher à Bastia ou chez son beau-frère à Vico, Ugo-Vincentello RoccaSerra refuse de fuir. Le 18 un mandat d'amener est effectivement lancé et le 20, après avoir été arrêté à Ajaccio, il est déjà emprisonné dans la caserne de la gendarmerie de Sartène et interrogé avec le chef d'inculpation "d'avoir le seize septembre dernier, dans la ville de Sartene, au quartier Ste Anne, et des fenêtres de la maison d'Antoine-Geoffroy RoccaSerra dit Tatello, tiré des coups d'arme à feu sur une patrouille de la Garde Nationale et de la Gendarmerie réunies; et d'avoir aussi participé comme auteur, fauteur ou complice aux faits qui ont amené la mort de Sebastien Pietri et d'Antoine-Jean-Paul Susini, et les blessures plus ou moins graves reçues par Brocas, Chabrand, Paul-François Ortoli, Jacques-Alphonse Susini et Jacques-Andre Ortoli".
        Le berger Jean-Baptiste Lucchini est lui aussi arrêté et quand un lieutenant de gendarmerie lui demande s'il sait pourquoi il est arrêté, il répond que l'ex-maire, de consentement avec Paoluccio RoccaSerra voulaient faire tomber sur lui les torts qui pesaient sur le premier et sur le fils du second, et il ajoute "ô Vincentello RoccaSerra, ô Vincentello RoccaSerra, tu nous a appelé pour faire tes vendanges et au contraire, c'était pour nous compromettre". A Bastia lors de son transfert de la prison au Palais de justice pour être interrogé, le même Jean-Baptiste Lucchini accompagné de gendarmes est accosté par deux personnes habillées en noir qui lui lancent en riant "eh bien comment te portes-tu", probablement des proches des RoccaSerra-Durazzo voulant mettre la pression sur le berger.

III Les procès

        L'arrêt de la Cour de Bastia du 14 mars 1831 met en accusation treize des quinze inculpés, les deux bergers étant blanchis par manque d'indices de culpabilité:

Expédition de l'arrêt qui ordonne la mise en accusation d'Hugues-Vincentello RoccaSerra ex Maire et consorts tous demeurants à Sartène
Louis Philippe, Roi des français à tous présents et à venir salut
De Corse chambre des mises en accusation séant à Bastia a rendu sur le rapport fait par Mr Cabet procureur général à la Cour Royale des mises en accusation, séant à Bastia, de la procédure instruite contre
Hugues-Vincentello RoccaSerra ex Maire de Sartène, secondo, Antoine -François Durazzo dit Coppio, terzo Jerôme RoccaSerra fils de Jean Paul, quarto Pierre Pietri [     ] Antoine Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, sesto Philippe Rocca Serra, settino Paul François fils de Tatello, ottavo Jean Paul Durazzo, nono Etienne Policarpe Durazzo decimo Ignace Durazzo, undecimo Paul François Rocca Serra frère de l'ex Maire duadecimo François Xavier Pietri, decimo terzo Antoine Marie Orsini propriétaires demeurant à Sartène, decimo quarto Jean Baptiste Lucchini berger demeurant à Croce d'Albitro, decimo quinto Simon Codaccioni berger demeurant à Conca, inculpés d'assassinat, de tentative d'assassinat, de rebellion à main armée envers la force publique:
Vu par la Cour toutes les pièces du procès dont il a été donné lecture par le commis greffier et qui ont été laissées sur le bureau: Vu pareillement la réquisition écrite et signée de Mr
Cabet Procureur général, qui après l'avoir déposée sur le bureau s'est retiré, ainsi que le commis greffier, la dite réquisition tendant à ce qu'il plaise à la Cour déclarer qu'il y a lieu de renvoyer tous les dits inculpés devant la Cour d'assise du Dept de la Corse, séant à Bastia pour y être jugés conformément à la loi à raison des crimes qui leur sont imputés; ordonner qu'il sera contre chacun d'eux décerné une ordonnance de prise de corps en vertu de la quelle les dits inculpés seront transférés dans la maison de justice établie près de la dite cour d'assise.
Après en avoir délibéré sans [     ] attendu qu'il résulte de la procédure que la ville [      ] depuis quelques [      ] divisé en deux partis, ayant pour [      ] famille d'
Antoine Pierre André [      ] Rocca Serra et des Durazzo [      ] ces deux partis en présence [      ] dispositions hostiles qui avaient [      ] opposées des rivalités d'amour propre des opinions [      ] moins divergentes et d'anciennes inimitiés, que dans le courant d'aout 1830, le sieur Antoine Pierre André Ortoli ayant été chargé de l'intérim de la sous préfecture en l'absence du sieur Peraldi titulaire reçut l'ordre d'organiser une garde nationale à Sartène que le sieur Hugues Vincentello Rocca Serra, Maire de la ville et l'un des chefs du parti Rocca Serra-Durazzo, exprima hautement [      ] dans deux lettres adréssées au Préfet la répugnance que lui inspirait [      ] prescrite par ce fonctionnaire que le sieur Ortoli, en sa qualité de faisant fonctions de sous Préfet, procéda à l'organisation de la garde nationale malgré l'opposition et sans le concours du Maire; que dès ce moment les Rocca Serra et les Durazzo ne voulurent point reconnaître la dite garde, la qualifiant de bande de factieux, de séditieux et de rebelles. Que le quinze septembre le bruit se répandit dans la ville que le sieur Peraldi devait débarquer le lendemain à Propriano pour retourner à Sartène, qu'en effet le Maire l'avait engagé à revenir, qu'à cette occasion les Rocca Serra et les Durazzo, dont le sieur Peraldi était l'ami et le locataire, avaient appellé à Sartène des campagnes voisines un grand nombre d'hommes armés pour aller prendre le sous Préfet au lieu de débarquement et l'amener à la ville accompagné de cet appareil imposant; que le seize au matin le quartier Sainte-Anne, habité par les Rocca Serra et les Durazzo, était rempli de paysans armés portant des fusils, des pistolets et plusieurs des stilets à découvert; que la plus part d'entr'eux descendirent à Propriano; que ceux qui restèrent à Sartène se placèrent dans les maisons qui environnent la place Sainte-Anne et à ce qu'il paraît aussi dans la chapelle. Que cependant le commandant de la garde nationale avait fait battre le rappel pour la réunion. Que le Maire arrêta le tambour de la garde, quand il passait par le quartier Sainte-Anne, escorté de deux gendarmes et battant le rappel; qu'on le menaça et que la caisse lui fut enlevée. Que dans ces circonstances la garde nationale résolut de faire une patrouille autour de la ville, en passant par le chemin processionnale qui traverse la place Sainte-Anne ou demeurent les Rocca Serra et les Durazzo; que ceux-ci rassemblés presque tous armés sur place Sainte-Anne en apprenant l'intention de la garde manifestèrent [      ], et menaçant la détermination [      ] dans leur quartier disant: Nous avons assez souffert assez d’humiliations, nous ne voulons plus en souffrir. Si la garde nationale vient à Sainte-Anne nous ferons feu sur elle. [      ] que tout [      ] qu'ils formèrent [      ] le desseins [      ] leurs menaces dans le cas ou la patrouille aurait bien comme il était dit que des pourparlers s'établirent à ce sujet entre les deux partis; Mais que toutes médiations devinrent inutiles. Que malgré les efforts des médiateurs, la garde nationale de son côté n'en persista pas moins à executer son projet de faire le tour de la ville, disant qu'elle faisait une patrouille necessaire afin de veiller au bon ordre pour le maintien [      ] elle avait été organisée, et qu'elle avait le [     ] de parcourir le quartier Sainte-Anne comme les autres quartiers de la Commune que la garde nationale après avoir reçu les ordres du commandant Rosolani qui lui enjoingnit de se conduire avec la plus grande modération et de supporter même les injures verbales, se mit en marche et se dirigea de la place de Porta vers la place Sainte-Anne qu'elle avait à traverser, qu'elle était composée de trente à trente cinq hommes presque tous officiers dans la dite garde accompagnée de six gendarmes et deux marechaux de logis de gendarmerie dont ce faisant fonctions de sous Préfet avait requis l'assistance, précédée et suivie d'une foule d'enfants et de quelques curieux; qu'elle marchait en ordre et en silence, sans drapeau ni tambour, tenant le fusil au port de sous officiers. Que les Rocca Serra et les Durazzo la virent approcher; que l'un d'eux Ignace Durazzo cria aussitôt: aux armes: que quelque [      ] auparavant un autre d'entr'eux, Paul François Rocca Serra avait crié à Anton François Durazzo dit Coppio cours aux créneaux; que dans le moment ou la garde nationale était engagée au milieu de la place ayant derrière elle la maison de Tatello, celle de la veuve Durazzo mère d'Antoine François, et celle de Policarpe Durazzo; à gauche et un peu derrière la maison de Jean Paul et d'Ignace Durazzo; à gauche et à côté la maison du Maire; à gauche et au devant la maison de Palluccio RoccaSerra; en face un vieux batiment dit chapelle Sainte-Anne appartenant au dit Palluccio; enfin à droite, la maison de l'ex Préfet Pietri; que dans ce moment dirons nous et dans cette position un premier coup d'arme à feu, qui paraissait être le signal, fut tiré contre la dite garde de l'une des maisons des Durazzo, que le premier coup vint frapper Sebastien Pietri qui commandait la patrouille et qui tomba mortellement blessé; qu'une vive fusillade sortit instantanément de toutes les maisons du quartier Sainte-Anne ci-dessus indiquées; ainsi que de la chapelle; qu'une seconde décharge suivit bientôt après que ces coups de feu partirent aussi des maisons déjà désignées et de plus de la maison de l'ex Préfet Pietri; que la gendarmerie cria vainement respect à la loi; qu'après avoir riposté par plusieurs coups de fusils la patrouille disposée prit la fuite; que dans cette déplorable circonstance Antoine Susini dit Bongiorno fut blessé aussi mortellement; que Paul François Ortoli, Jacques André Ortoli, Jacques Alphonse Susini, gardes nationaux; Jean Brocas et François Chabrand gendarmes, reçurent des blessures plus ou moins graves; qu'il est constant que pendant la fusillade les inculpés se trouvaient, savoir Hugues Vincentello, Antoine Geoffroid, Philippino, Paul François, tous Rocca Serra, Antoine François Durazzo dans la maison de la veuve Durazzo, sa mère, Polycarpe Durazzo, dans sa maison Jean Paul et Ignace Durazzo dans la maison du dit Jean Paul; Jean Baptiste Lucchini et Simon Codaccioni dans la maison du Maire; Jerome Rocca Serra dans la maison de Pallucio son père, François Xavier Pietri et Antoine Marie Orsini dans la maison de l'ex Préfet Pietri; Paul François Rocca Serra frère du Maire dans la maison de ce dernier ou dans celle de la veuve Durazzo; que même suivant les dépositions d'un grand nombre des témoins, quelques uns des dits inculpés auraient été vus dirigeant des coups de fusils contre la garde nationale; attendu que tout ce qui précède et notament les menaces proférées par les Rocca Serra et les Durazzo, le cris aux armes, à l'approche de la garde nationale l'explosion instantanée et simultanée des coups de fusils sortits de toutes les maisons habitées par les inculpés après avoir laissé la dite garde s'engager au milieu de la place, tout cela démontre que les inculpés avaient formé d'avance entr'eux le dessein de faire feu sur la garde si elle passait dans le quartier Sainte-Anne et l'attendaient au passage pour exécuter ce dessein; attendu que la garde nationale avait été organisée de la manière la plus régulière possible dans les circonstances du moment, que pour suppléer le Maire opposant, on avait créé une commission formée de citoyens notables qui présentaient toutes les garanties que le faisant fonction de sous Préfet en organisant la garde s'était d'ailleurs conformé aux instructions qu'il avait reçu de l'autorité supérieure, qu'elle devait être dès lors considérée comme une force publique légitime dans son origine tutélaire dans son [      ] respectable dans son action; qu'au reste en faisant la patrouille le seize septembre, la dite garde était accompagnée de la gendarmerie agissant pour l'exécution des ordres du premier [      ] de l'arrondissement. Attendu que les faits ci-dessus et les autres circonstances contenues dans la procédure établissant des charges suffisantes contre Hugues Vincentello Rocca Serra, Antoine François Durazzo, Jerôme RoccaSerra, Pierre Pietri, Antoine Geoffroid Rocca Serra, Philippe Rocca Serra, Paul François Rocca Serra fils d'Antoine Geoffroid, Jean Paul Durazzo, Etienne Policarpe Durazzo, Ignace Durazzo, Paul François Rocca Serra frère d'Hugues Vincentello, François Xavier Pietri, et Antoine Marie Orsini d'avoir le seize septembre 1830, à Sartène, ensemble et de de complicité, à l'aide de plusieurs armes à feu, 1° donné volontairement avec préméditation et guêt apens la mort à Sebastien Pietri et Antoine Susini dit Bongiorno, secondo [      ] de donner volontairement et aussi avec préméditation et guêt-apens la mort à Paul François Ortoli, Jacques André Ortoli, Jacques Alphonse Susini, Jean Brocas et François Chabrand ainsi qu'aux individus formant une patrouille composée de gardes nationaux et de gendarmes, tentative qui ayant été manifestée par des actes d'intérieur et suivie d'un commencement d'exécution n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de [      ]; terzio attaqué avec violence et voyes de fait en réunion armée de [      ] de trois personnes la force publique agissant pour l'exécution des ordres de l'autorité publique fait [      ] constituent les crimes prévus par les articles deux cent quatre vingt quinze, deux cent quatre vingt seize, deux cent quatre vingt dix sept, deux cent quatre vingt dix huit, deux cent neuf, deux cent onze, cinquante neuf et soixante du Code pénal. Attendu relativement à Jean Baptiste Lucchini et Simon Codaccioni, qu'il n'existe pas au procès d'indices suffisants de culpabilité; par ces motifs la Cour dit qu'il n'y a pas lieu à suivre contre Codaccioni et Lucchini annulle en conséquence le mandat d'arrêt décerné contre le premier, ordonne que le second qui est détenu sera mis sur le champ en liberté; ordonne la mise en accusation de primo Hugues Vincentello Rocca Serra ex Maire de Sartène, 2° Antoine François Durazzo dit Coppio, 3° Jerome Rocca Serra fils de Jean Paul, 4° Pierre Pietri, 5° Antoine Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, 6° Philippe Rocca Serra, 7° Paul François Rocca Serra fils de Tatello, 8° Jean Paul Durazzo, 9° Etienne Policarpe Durazzo, 10° Ignace Durazzo, 11° Paul François Rocca Serra frère de l'ex Maire, 12° François Xavier Pietri, 13° Antoine Marie Orsini; renvoie en conséquence les inculpés dénommés ci-dessus devant la Cour d'assise du département de la Corse séant à Bastia, pour y être jugés conformément à la loi sur les crimes qui leurs sont imputés.
        Ordonne en outre que le dit Hugues Vincentello Rocca Serra, âgé de quarante un ans ex Maire détenu, Antoine François dit Coppia, Jerôme Rocca Serra fils de Jean Paul, Pierre Pietri, Antoine Geoffroid Rocca Serra dit Tatello, Philippe Rocca Serra, Paul François fils de Tatello, Jean Paul Durazzo, Etienne Policarpe Durazzo, Ignace Durazzo, Paul François Rocca Serra frère de l'ex Maire, François Xavier Pietri, et Antoine Marie Orsini contumaces, tous propriétaires demeurant à Sartène seront pris au corps, comme suffisamment prévenus des crimes ci-dessus spécifiés, et conduits dans la maison de justice, établie près la dite Cour d'assise du département de la Corse, où ils seront écroués par tout huissier requis.
Fait en Chambre du Conseil à Bastia le quatorze mars mil huit cent trente un, présents Messieurs Pasqualini Président, Arena, Capelle, Gavini, Limperani conseillers, Messieurs Arena, Gavini et Limperani ayant été appellés pour compléter la Chambre en remplacement de Messieurs Galeazzini et Susini absents, Giordani et Graziani légalement empêchés et Marcillese qui a déclaré s'abstenir et dont la Cour a approuvé les motifs de récusation. Lesquels Magistrats siégeant ont signé avec le commis greffier. Signé: Pasqualini, Arena, Capelle, Gavini, Limperani et Guasco commis greffier. Mandons et ordonnons à tous huissiers sur ce requis de mettre à exécution le présent arrêt à nos Procureurs généraux et à nos Procureurs près les tribunaux de première instance d'y tenir la main à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte, lorsqu' ils en seront légalement requis.
        En foi de quoi le dit arrêt a été signé par le Président conseiller de la dite Cour et par le commis greffier.
Pour expédition conforme délivrée à Monsieur le Procureur général.
Le greffier en chef de la Cour Royale de la Corse.
Signé: P F Ottavi

Suit l'acte d'accusation

        Ugo-Vincentello RoccaSerra est renvoyé seul en Cour d'assises en mai 1831, après onze jours d'audience, il est acquitté. Le 7 juin de la même année Policarpe Durazzo, de retour de Livourne où il s'était réfugié, est arrêté dans la demeure de Paoluccio RoccaSerra, traduit devant la Cour d'assises en septembre il est également acquitté.
        Le 23 octobre 1831, Giovan-Battista Susini, dont le frère Anton-Giovan-Paolo avait trouvé la mort à Ste-Anne, aperçoit Bisentelluccio Rocca Serra traversant la place de Porta et se poste, armé, à l'entrée de la maison de Anton-Pier-Andrea Ortoli. Bisentelluccio alerté se tapit derrière un mur en face de la caserne des voltigeurs et sort son pistolet d'arçon. Des militaires alertés par le remue-ménage viennent à son secours et le ramènent sous bonne escorte à son domicile. Le surlendemain le capitaine de gendarmerie écrit au préfet "j'ai lieu de craindre que tôt ou tard les deux partis qui divisent Sartène en viennent aux mains".
        Les deux acquittements poussent les autres coaccusés à se rendre à la justice dès l'automne. La partie civile invoque la suspicion légitime, suivie par le procureur général de Bastia qui demande à la Cour de cassation de les renvoyer devant une Cour d'assises du continent. Les santanninchi contre-attaquent en décembre:

                                                                                                                A la Cour de Cassation
                                                                                                                    Section criminelle,
                                                                                                                Les accusés de Sartène

Veut-on ou ne veut-on pas le jury pour la Corse? C'est la véritable question du procès; celle que nous inspirent les demandes en renvoi pour cause de suspicion légitime, sans cesse renouvelées devant la Cour suprême. Naguère encore, ma voix réclamait en faveur d'un des meilleurs citoyens de la Corse, Monsieur Biadelli, le droit commun et de ses juges naturels; les grands mots d'intérêt public, de mœurs du pays, de dépendance du jury, d'influences patriciennes se firent entendre avec tant d'éclat, le tableau de l'impuissance des juges en présence d'un accusé tout-puissant par ses relations et sa famille, fut présenté avec tant d'énergie, que la Cour dût craindre un acquittement scandaleux pour un grand coupable; nos efforts furent vains; Monsieur Biadelli fut renvoyé devant la Cour d'assises de l'Hérault. Qu'arriva-t-il, son innocence fut proclamée au milieu des applaudissements de l'auditoire; un véritable triomphe le dédommagea d'une longue persécution, et son retour dans sa ville natale fut une fête publique. La justice ne veut ni ce faste, ni ces ovations. Je cherche vainement ce qu'on a gagné à renvoyer sur le continent le jugement des crimes commis dans le département de la Corse. Jusqu'à ce jour, tous les accusés ont été acquittés; qu'aurait fait le jury en Corse? Et cependant le cours ordinaire de la justice a été interrompu; des citoyens innocents ont subi une longue détention; ils ont été contraints de venir implorer jugement loin de leur famille, de leurs amis, des consolations, si douces dans le malheur et la captivité, et le trésor public a subi d'énormes dépenses, sans avantage pour le pays.
Il semble qu'on veuille réduire le jury en Corse à ne juger que les voleurs, encore faudra-t-il que les voleurs ne soient pas de bonne maison.
J'appelle toute l'attention de la Cour sur cette tendance, avant de l'appeler sur l'affaire même dont nos adversaires réclament aujourd'hui le renvoi sur le continent. Pendant que la Corse vivait sous l'empire des lois exceptionnelles, l'opposition en France et tous les hommes généreux réclamaient pour elle la protection du jury; on en était venu au point de soutenir devant la Cour que les condamnations prononcées sans les jurés étaient illégales. Aujourd'hui, que la révolution de 1830 a donné le jury à ce département, faudra-t-il que chaque accusation importante amène une exception nouvelle? Quelle idée la Corse aura-t-elle de ses jurés, si elle voit que la méfiance les poursuit, et que la justice souveraine de la Cour ne croit pas pouvoir leur confier le sort des accusés qui ont une fortune, une position sociale, une famille? Quelle élévation, quelle dignité pourraient acquérir les jurés eux-mêmes s'ils se voient l'objet d'une suspicion constante, si l'idée de leur justice alarme la plus haute magistrature?
Le crime doit être jugé, doit être puni sur le lieu même où il jeta le deuil et l'épouvante: le criminel doit subir le supplice là où il osa frapper sa victime. La justice, c'est la force et le droit; elle perd son caractère et sa haute influence, quand elle semble reculer devant la puissance d'un accusé.
La loi veut donc que l'accusé, dans l'intérêt public, soit jugé sur le théâtre du crime; elle le veut aussi dans l'intérêt de l'accusé. Il a droit à ses juges naturels, au jugement de ceux qui le connaissent et devant lesquels il peut invoquer sa vie passée en témoignage; lui ravir ce droit, c'est lui ravir une partie de sa défense. Respect à la défense!
Deux exceptions à ce grand principe ont été posées par la loi même. Ces exceptions, elle se borne à les énoncer, sans les définir: sûreté publique, suspicion légitime. La première magistrature du royaume balance les droits de l'accusé et les alarmes de la société; il y a, dans ce haut tribunal, trop d'indépendance et trop de lumières pour que cet immense pouvoir dégénère en abus.
                                                                                                                      Sûreté publique

Un crime horrible a soulevé dans une contrée l'indignation publique; le peuple irrité réclame, pour expier le forfait, la tête d'un accusé qui proteste de son innocence. La justice ne sera pas libre: la sûreté publique exige le renvoi devant un tribunal que le peuple ne puisse pas intimider.
Le crime commis est un crime politique. La population entière, si elle n'applaudit pas au meurtre consommé favorise le coupable. Sa condamnation peut exciter les troubles les plus graves: la sûreté publique exige le renvoi devant un tribunal que le peuple ne puisse pas entraîner.
A ces grands traits, on reconnaît l'impérieuse nécessité. Si la liberté de condamner ou d'absoudre est ravie au juge, il n'y a pas de décision possible.
La loi ne permet qu'au Ministère public de réclamer le renvoi pour cause de sûreté publique; c'est une garantie de plus pour la société, pour l'accusé lui-même.
                                                                                                                    Suspicion légitime

Avec le jury, les causes de suspicion légitime doivent être bien rares. Comment, en effet, soupçonner de faiblesse ou de violence une réunion nombreuse de citoyens pris dans les classes les plus indépendantes de la société?
Cependant, si la population entière d'un département a témoigné une grande faveur pour l'accusé, ou si elle a manifesté contre lui un violent esprit de haine; si le meurtre a été commis par des hommes ou contre des citoyens dont l'influence et la position dominait la contrée; on le sent, il peut y avoir suspicion légitime, contre les jurés même.
Mais que la mission de la Cour est alors difficile et délicate! Quand la loi remet à des jurés le sort d'un accusé, son but est de le confier à des hommes qui, habitant en quelque sorte les mêmes lieux que le prévenu, que la victime, peuvent se faire des idées plus justes, plus positives, sur tous les faits de l'accusation ou de la défense. Si l'on fouille si avant dans les relations, dans les liens, dans les habitudes des jurés, où s'arrêtera-t-on pour tracer la ligne? Magistrats, une seule réflexion doit tout dominer! Le jury pris sur les lieux mêmes, les juges naturels, voilà pour l'accusé la plus sûre garantie, voilà pour la société le tribunal le plus roi.
        Ces principes posés, examinons la cause et jugeons de l'opportunité de la demande.
Le crime, s'il y eut crime, fut commis au mois de septembre 1830, quinze mois se sont écoulés!
La révolution de Juillet avait remis la couronne à un Roi populaire; la Corse avait accueilli avec enthousiasme la nouvelle des trois journées et de leur résultat. Sartène avait alors pour maire Vincentello Roccaserra, l'un des compagnons d'exil de Napoléon à l'Ile d'Elbe. Roccaserra, dès le 12 août, avait publié une proclamation pleine de sagesse et de patriotisme.
Péraldi, sous-préfet, se trouvait en congé à Ajaccio lors des grands événements; ses fonctions avaient été temporairement déléguées à Vincent Ortoli, membre du Conseil d'arrondissement. Il les conserva jusque vers le milieu du mois d'août. Il se retira dans ce moment, et fut remplacé par Antoine-Pierre-André Ortoli choisi par le préfet provisoire au sein du Conseil d'arrondissement. Une partie de la population de Sartène, excitée par les Ortoli avait conçu le projet de s'opposer au retour de Péraldi. Le 10 août le bruit s'était répandu qu'il était rentré dans la ville. Des cris de fureur s'étaient fait entendre, des attroupements s'étaient formés; mais tout s'était calmé à la voix du président Nasica et du procureur du Roi Fournery.
Péraldi logeait au quartier Sainte-Anne, dans la maison de Jean Paul Durazzo, l'un des accusés.
        Le 8 du mois de septembre, la nouvelle du prochain retour de Péraldi, confirmé dans ses fonctions par le gouvernement de Louis-Philippe, commençait à se répandre dans Sartène. Antoine-Pierre-André Ortoli et les siens combinèrent un projet important: le préfet avait écrit dans le mois d'août à Vincent Ortoli de se consulter avec le maire pour décider si l'organisation d'une garde nationale serait utile au pays. Aucune suite n'avait été donnée à cette pensée, parce que Roccaserra et Vincent Ortoli savaient bien qu'il y aurait danger à cette organisation.
Le 8 septembre, quand il vit le pouvoir prêt à lui échapper Antoine-Pierre-André Ortoli entraîné par de mauvais conseils veut créer, malgré l'opposition du maire, une garde nationale; lui qui avait d'abord écrit que cette création n'était pas convenable.
Il affiche une proclamation qu'il n'ose pas même reproduire aujourd'hui. Il forme une commission municipale et administrative; il en exclut le maire et la plupart des habitants les plus notables. Il réunit ensuite deux cent cinquante-neuf signatures ou croix, pour en tenir lieu, il relève du titre de registre le papier sur lequel il les a ramassées; il réunit trente-six individus qui se partagent les grades et les emplois; il décore du nom pompeux de procès-verbal d'élection cette véritable parade. A un de ses fils est confié le commandement suprême, à un autre le titre d'ajudant-major, à un troisième le grade de lieutenant: les Rosolani, les Piétri, les Susini, tous parents ou alliés sont proclamés après ses fils, et voilà sa garde nationale constituée.
        Pendant ce temps, le maire écrivait, sous la date du 10 septembre au préfet provisoire une lettre qui peignait exactement la situation du pays. En voici des fragments: "La tranquillité la plus parfaite a régné jusqu'à ce jour dans notre ville. Nous avons su la maintenir malgré les efforts de quelques factieux qui ont fait tout ce qui dépendait d'eux pour la troubler. Maintenant notre situation commence à changer et l'on aperçoit une fermentation dans les esprits propre à donner de graves inquiétudes aux hommes qui ne désirent que la paix et la tranquillité publique.".
Il raconte:
Que ce changement, dans l'esprit, est dû aux sieurs Antoine-Pierre-André Ortoli, faisant fonctions de sous-préfet, incapable de diriger une affaire, mais entouré d'hommes qui ne se plaisent qu'aux troubles et aux désordres et dont il suit aveuglément les perfides conseils.
Le maire annonce ensuite:
Qu'Ortoli, informé que le sieur Péraldi devait rentrer incessamment a créé une commission administrative, malgré les avis contraires des hommes les plus marquants dans une réunion où les vrais notables n'ont pas été appelés, et il l'a chargée d'organiser la garde nationale, le maire non entendu ni consulté.
Le maire se plaint d'autant plus vivement qu'une garde nationale à Sartène donnerait des armes à des hommes dangereux et obligerait au service des personnes qui ne peuvent en supporter les charges sans préjudice pour la subsistance de leur famille. Les gens de bien et les notables proclament cette vérité. Il demande la nullité de toutes ces opérations. D'ailleurs le sous-préfet provisoire doit savoir qu'il est sans droits, si le maire en était requis, il organiserait d'une manière régulière. Du reste, tant indigné qu'il est, il a su maintenir l'ordre; mais l'envoi de Monsieur Péraldi est le seul moyen d'en finir etc…
        Le sous-préfet provisoire écrivit au contraire le 12 septembre dans les termes suivants: "D'après la lettre que vous avez écrite à mon prédécesseur, relativement à l'organisation de la garde nationale, je me suis occupé particulièrement de celle du chef-lieu. Elle est déjà organisée, elle forme un bataillon au nombre de huit compagnies, et sous peu, j'aurai l'honneur de vous transmettre le procès-verbal. Le meilleur ordre et la tranquillité ont régné pendant cette opération, malgré les sinistres insinuations de quelques personnes qui avaient témoigné l'intention de la contrarier.".
Il était d'une haute importance que cette opération de la garde nationale parût au préfet l'expression libre des vœux du pays. Ortoli trompait l'autorité supérieure quand il annonçait d'avance l'organisation faite au nombre de huit compagnies: c'est le 12 qu'il écrivait, le prétendu procès-verbal d'élection est du 14. Il fut envoyé au préfet provisoire la lettre suivante: "La garde nationale est enfin organisée, principalement d'après les bases électives de 1791: je vous adresse les procès-verbaux, certificats, tableaux, et listes. Le maire se plaint qu'on l'a exclu de toute participation. La déclaration du capitaine de détachement détruit le grief. Par délicatesse, nous ne dirons pas autre chose, il y a impossibilité absolue de constituer la force civique conformément au vœu de la commune avec un maire sur lequel je me tais. Fallait-il renoncer après vingt-cinq jours d'hésitation. Enfin, j'ai fait intervenir citoyens et notables, vous jugerez si j'ai bien fait. Je ne puis m'empêcher de vous exprimer la surprise et l'admiration dont je me sens saisi. L'empressement, l'affluence des citoyens à s'inscrire sur les registres, le zèle ardent et infatigable de tant de jeunes gens appartenant à nos premières familles, le calme et l'ordre parfait ont étonné tout le monde et dissipé mille fausses alarmes. On ne doute pas que vous ne vous hâtiez d'autoriser l'existence d'une garde nationale expression libre et spontanée du vœu des habitants. On attend avec la plus vive anxiété; ce sera un jour heureux: surtout n'attachez pas trop d'importance aux insinuations de Monsieur le maire etc…".
        Résumons les faits antérieurs à la catastrophe du 16 septembre.
La révolution avait trouvé en Corse la plus entière sympathie; le 12 du mois d'août, le maire de Sartène, ancien compagnon d'exil de Napoléon, avait appelé ses concitoyens à l'union, à la concorde; il avait arboré nos trois couleurs, et, jusqu'aux premiers jours de septembre une tranquillité parfaite avait régné dans la population. Le 8 septembre, l'arrivée prochaine du sous-préfet Péraldi est annoncée, le sous-préfet provisoire lève l'étendard de la rébellion. Sans l'aval du maire, contre son intention formelle, il crée en quatre jours une prétendue garde nationale, aidé dans cet acte d'insubordination par une commission municipale administrative qu'il a formé lui-même. Il distribue à ses fils, à ses parents, à ses alliés, à ses amis les plus intimes, les grades et les emplois, et Sartène présente une ville divisée en deux camps, en deux gouvernements. Jusqu'à ce moment, pas un mot, pas une action qui annonce de la part du maire des intentions hostiles; il se borne à faire connaître l'état des choses au préfet provisoire.
Le 15 septembre au soir un des fils d'Ortoli et le commandant en second de la garde nationale ont convoqué, chez le sous-préfet provisoire, tous les officiers. Là, Camille Piétri, capitaine, annonce que l'objet de la réunion est l'arrivée du sous-préfet Péraldi; l'on ne doit pas permettre son entrée dans la ville. Susini propose un terme moyen: il faut que le sous-préfet entre, mais sans escorte. Paul-François Ortoli, un des fils du sous-préfet provisoire, dit qu'il ne doit entrer en aucune manière. Les opinions se divisant le commandant renvoie au lendemain pour en référer au comité mais il faut que l'on soit prêt au premier coup de tambour. Pierre-Marie Susini fait en vain les plus vives observations.
Le lendemain, jour indiqué pour l'arrivée du sous-préfet, dès le matin les gens d'Ortoli, ses dévoués, avaient barricadé la grande fenêtre du couvent, placée entre deux autres qui regardent diagonalement la place Sainte-Anne, ils avaient placé à travers les barricades des hommes armés de fusils; ils s'étaient emparés du clocher qu'ils avaient garni d'hommes armés. Epouvantés de ces préparatifs, les croyant destinés contre Péraldi, le maire et un bon nombre de ses amis armés, réunis sur la place Sainte-Anne qu'ils habitent presque tous, se disposaient à marcher au devant de l'autorité, à former son escorte, et à le conduire dans la ville. Cependant ils apprennent que la garde nationale s'assemble sur la place Porta, on menace de venir faire patrouille au quartier Sainte-Anne. Déjà se présente le tambour qui bat le rappel. Chef de la police municipale, le maire ordonne que sa caisse lui soit enlevée. En un instant, la sédition éclate. On parle de descendre à Sainte-Anne, de tirer du couvent, le tocsin sonne. Camille Piétri crie aux armes. La garde nationale est sur la place Porta en ordre de bataille, Capicchia se distingue, armé d'une hache. La garde nationale marche sur Sainte-Anne; vaincue enfin par les supplications de Monsieur le conseiller-auditeur
Susini, elle revient sur ses pas.
Alors des pourparlers s'établissent. On réclame la caisse enlevée au tambour; le maire finit par la remettre au maréchal-des-logis de la gendarmerie, en disant: "Tant que je serais maire, la police de la ville m'appartient; qu'on ne passe plus par la place Sainte-Anne.". Le maire se rend encore aux prières du juge de paix, il est convenu qu'ils iront au nombre de deux ou trois seulement à la rencontre du sous-préfet.
Ainsi ceux que l'on accuse aujourd'hui ont toujours cédé aux exigences de l'attroupement.
Tout paraissait fini; mais quelques jeunes veulent encore faire patrouille à Sainte-Anne, en vain le président, le juge de paix, le sous-préfet lui-même, invitent et prient, leur voix est méconnue. De leur côté, le maire et Paul Durazzo s'écrient: "C'est pour nous humilier, pour nous insulter encore. C'est assez d'affronts et d'outrages; nous n'en voulons plus subir.".
Une voix dit enfin: "Ne passons pas à Sainte-Anne, mais que les habitants de Sainte-Anne ne viennent pas sur la place Porta.". Cet avis semble avoir tout concilié. Les médiateurs se retirent. Nous le demandons encore, avant d'arriver à la catastrophe, qui donc s'est montré, dans cette fatale querelle, mauvais citoyen, avide de troubles et de désordres? Et n'est-ce pas une conduite digne d'éloges que celle du chef de la police, du maire de la ville, qui, poursuivi par l'illégalité, par la sédition, sous le nom de sous-préfet et de garde nationale, se montre ferme sans colère et cède encore toutes les fois qu'il croit ramener la tranquillité au milieu de ses concitoyens. L'ordre semblait rétabli. Il n'y avait plus d'hommes armés sur la place Sainte-Anne, ils s'étaient rendu à Propriano d'où ils ne devaient pas revenir en armes, d'après la parole du maire. Tout-à-coup la gendarmerie est convoquée pour suivre les gardes nationaux dans leur patrouille à Sainte-Anne. Arrivés près de la maison Tatello, à l'entrée de la place, ils arment tous leurs fusils. Près de la maison de Pauluccio RoccaSerra, un premier coup de feu part des rangs de la garde nationale, la balle passe sur la tête de Madame Roccaserra, femme du maire qui était paisiblement sur sa porte, on tire du couvent, on fait feu des maisons de toutes parts. Sébastien Piétri et Antoine Susini tombent frappés d'un coup mortel. Quelques autres sont plus ou moins grièvement blessés.
Tel fut le déplorable résultat de cette malheureuse journée.
Le sous-préfet arrivé sur le soir, sans escorte, voulut, dès le lendemain, entrer dans ses bureaux; Ortoli en avait gardé les clefs, il refusa de les remettre disant qu'il ne reconnaissait pas Monsieur Péraldi. Le juge de paix allait faire procéder à l'ouverture des portes lorsque deux coups de feu, partis du couvent, blessèrent Pauluccio Roccaserra.
La ville était dans la plus cruelle fermentation, le premier soin du préfet fut de désarmer la prétendue garde nationale, de lui défendre tout service, jusqu'à ce que l'autorité supérieure eût approuvé son organisation.
Bientôt le calme reparut. Monsieur Péraldi, ne voulant pas être un sujet de discorde, donna sa démission: l'autorité remit ses fonctions non plus au sieur Ortoli, mais au sieur Ornano. Une instruction fut ordonnée par la Cour royale et Monsieur Ornano réclamait une amnistie. La Chambre d'accusation renvoya devant la Cour d'assises, le maire et douze autres accusés. Le maire avait été arrêté, refusant de fuir quoique prévenu qu'un mandat était lancé contre lui. Il parut devant les jurés, et l'unanimité prononça son acquittement. Polycarpe Durazzo fut traduit aux assises suivantes, et le jury proclama son innocence. Tous les autres accusés vinrent à leur tour demander jugement. Rentrés à Sartène, Roccaserra et Durazzo y vivaient paisibles, sans que leur présence eut excité la moindre inquiétude dans le pays. Le procureur général, qui n'avait pas cru que la sûreté publique dût être compromise, lors du jugement de Roccaserra et Durazzo, n'avait pas non plus hésité à faire assigner les témoins pour l'audience du 9 décembre. Mais nos adversaires veillaient, ils s'étaient pourvus pour cause de suspicion légitime et voilà qu'au dernier instant le Ministère public se joint à eux. Il est vrai, nous devons le dire, que sa requête n'est qu'un simple exposé avec des conclusions, sans aucun développement.
Telle est la cause.
        Quels sont les motifs sur lesquels se fonde la demande en renvoi?
Sûreté publique? Non, l'œil le plus clairvoyant n'en découvrirait pas un mot dans la requête de Monsieur le procureur général.
C'est donc pour suspicion légitime qu'on réclame. Examinons:
D'abord l'affaire est toute politique. Les demandeurs appartiennent au parti national qui a voulu le gouvernement actuel; les défenseurs à l'opinion contraire.
Réponse: il n'est pas vrai que l'affaire soit politique. Là comme ailleurs la soif des places, l'avidité du pouvoir, ont voulu profiter de la révolution. Quelques hommes ont pris le masque du patriotisme, ils ont fait sonner haut des accusations politiques contre Péraldi; le préfet, sa famille, voulait s'emparer des emplois et les garder. Péraldi les gênait, il fallait repousser Péraldi. C'est de l'intérêt privé, l'intérêt public n'est pour rien dans la lutte. Dans tous les cas, là où est la rébellion, là ne saurait être le patriotisme. Le premier devoir d'un bon citoyen, c'est l'obéissance aux lois et aux pouvoirs établis. Le Roi avait conservé Péraldi, ceux qui voulurent lui interdire l'entrée de Sartène étaient rebelles à la loi. C'est de la révolte et voilà tout.
Les demandeurs appartiennent au parti national. Prenons garde: Piétri s'enveloppe dans le manteau d'Ortoli. En 1815 pendant que l'ex-maire Roccaserra servait Napoléon en Italie, Piétri et sa famille s'emparaient, dans l'intérêt de la contre-révolution, de ce même couvent qu'ils barricadaient. Au 16 septembre 1830, il recevait du marquis de Rivière, en récompense de cet exploit, le grade de sous-lieutenant dans la légion corse.

Les Durazzi et Pauluccio Roccaserra suivaient la même bannière que les Piétri et les Susini. Comment devant la Cour suprême vient-on calomnier les opinions d'autrui et travestir les siennes?
Les familles des accusés exercent une grande influence dans Sartène!
Réponse: mais depuis le commencement de cette malheureuse affaire, les Ortoli et leurs adhérents ont déclaré dans tous leurs écrits que toute la population était pour eux, elle est donc contre les accusés!
Un acquittement produirait dans le pays une grande fermentation des troubles nouveaux.
Réponse: Roccaserra et Polycarpe Durazzo présentés comme les chefs du complot sont rentrés dans leurs foyers. Sartène n'a pas cessé d'être calme. D'ailleurs un acquittement sur le continent produirait-il d'autres résultats?
Les jurés ne présentent pas des garanties suffisantes. La parenté, les alliances, les relations des accusés avec les jurés ne permettent pas de croire à l'impartialité de la décision à rendre.
Réponse: huit cents jurés composent la liste électorale, on n'en trouvera pas trente, on n'en trouvera pas douze, le sort favorisera les parents, les alliés, les amis! La récusation du Ministère public sera sans effet! Et quels sont ceux qui attaquent ainsi l'élite de la population corse? Ceux-là mêmes qui, aux dernières assises, craignant l'indépendance d'un juré, l'obligèrent, par de terribles menaces, à quitter l'audience et ses fonctions commencées.
Mais quoi? Roccaserra, maire, homme éminent par sa fortune et sa position, Polycarpe Durazzo, avocat, ont été jugés par les jurés corses, sans réclamations, sans trouble; et voici neuf accusés tous simples particuliers n'ayant jamais exercé aucun emploi et que vous signalez comme maîtres de huit cents jurés!
Un dernier mot sur ce motif de suspicion légitime: la Corse formait autrefois deux départements: Golo et Liamone, elle n'en forme plus qu'un seul mais pour une sage prévoyance les jurés qui habitent le territoire du Liamone sont appelés à juger les crimes commis dans l'ancien département du Golo, ceux du Golo jugent le Liamone.
Enfin Sartène petite ville de 2500 âmes renfermera-t-elle dans son sein neufs citoyens, sans dignités, sans titres, sans emplois, qui domineront le jury et désarmeront sa conviction?
Ah! sans doute lorsqu'une Cour criminelle jugeait les accusés, on pouvait concevoir les demandes fréquentes en renvoi. Il pouvait se trouver dans une Cour composée de vingt-quatre magistrats, un certain nombre de parents et d'alliés, de patrons, d'amis. Et cependant lorsqu'en 1829, le procureur général de la Corse demandait le renvoi sur le continent de la cause Poli et Brignole, la Cour de cassation rejeta la requête. Et il s'agissait pourtant de l'immense influence de la famille Casabianca, dont les vastes ramifications embrassent une partie de la Corse! L'un des accusés était son petit-fils, neveu d'un président de Chambre parent de plusieurs conseillers, et la Cour seule devait prononcer sans jurés…
Il est vrai que plus tard la Cour ordonna le renvoi de Biadelli, dans la même affaire, mais Biadelli avait lui-même un nom, une influence, et il ne s'opposait pas. La Cour d'assises de l'Hérault le vengea des calomnies dont on voulait l'abreuver.
Et l'on récuserait huit cent jurés.
Mais la Cour aujourd'hui est pour ainsi dire la famille des accusés presque tous les magistrats sont leurs parents, leurs alliés, les parents de leurs parents, les alliés de leurs alliés, les amis de leurs amis!
La Cour! Mais aujourd'hui que le jury doit rendre son arrêt à la majorité de huit voix au moins, quel est le rôle de la Cour?
Quoi? Trois magistrats intègres ne se trouveront pas pour tenir ces audiences!
Ecoutons les adversaires et nous les jugerons:

 

Noms des juges

 

Motifs de suspicion

Réponses

Colonna d'Istria, premier président

Oncle à la mode de Bretagne de l'un des accusés, protecteur de tous

M. le premier président est veuf.

Sa femme était cousine de la mère de Roccaserra qui est morte aussi.

Mais ce qui est remarquable, c'est que la femme du premier président était cousine germaine de Raphaël Ortoli partie civile.

 

M.Colonna, père du premier président

Même alliance, mêmes sentiments ouvertement professés.

 

Point d'alliance.

 

M. Pasqualini

A pris part à la mise en accusation.

 

Il est mort.

M.Suzzoni, conseiller

Oncle d'une dame Roccaserra de la même famille que les accusés.

Erreur volontaire. M.Suzzoni est oncle par alliance d'une Roccaserra de Porto-Vecchio, qui n'a rien de commun avec les Roccaserra de Sartène.

 

M.Olivetti, conseiller

Etait secrétaire général de la préfecture, M. Piétri oncle germain de deux accusés[5] était préfet.

 

M.Olivetti fut révoqué en 1803, il y a vingt-huit ans, de ses fonctions de secrétaire général.

11°

M.Arrighi, conseiller

Parent de madame Piétri, belle-sœur de Xavier Piétri, accusé.

 

La parenté est de pure invention.

12°

M.Pallavicini, conseiller

Marié à Gentili de la même famille que M.Gentili.

Marié à Gentili de Bastia qui n'a rien de commun avec la fille Gentili de San-Firenzo. L'une est d'origine génoise, l'autre corse.

 

13°

M.Casabianca, conseiller

Allié de la famille Galeazzini. Une Galeazzini a épousé le frère de FXavier Piétri, accusé.

C'est fouiller bien avant pour trouver un motif de suspicion; et pourtant le fait n'est pas vrai. Il n'y a aucune parenté entre M.Casabianca et les Galeazzini.

 

19°

M.Murati, conseiller-auditeur

Mari d'une Gentili comme M.Pallavicini.

Mari d'une Gentili de Nonza qui n'a aucune parenté avec les Gentili de San-Firenzo.

 

21°

M.Tamiet, premier avocat général

Allié à la famille Galeazzini donc à madame Piétri belle-sœur de Xavier.

 

Point d'alliance avec la famille Galeazzini.

 

Voilà huit magistrats, sans compter le premier président et un omettant M.Pasqualini, décédé, voilà huit magistrats que l'on avait osé repousser et les motifs de suspicion légitime sont de pure invention. La Cour aura la mesure de la bonne foie de nos adversaires.
Telle est la cause. Une dernière réflexion nous est commandée par la nature même du procès. Accorder le renvoi demandé, c'est donner une prime d'encouragement et de sédition. Le maire était seul en droit d'organiser la garde nationale, à défaut de son concours, il fallait s'adresser à l'autorité supérieure. Le sous-préfet provisoire osa dépouiller le maire de son droit et il créa le 8 septembre lorsque depuis un mois la Charte était acceptée et le Roi proclamé il créa une commission municipale et administrative qu'il chargea d'organiser avec lui la garde civique. Nous ne revenons pas sur ces singulières élections, qui remettent à trois familles tous les grades et tous les emplois, sur ces huit compagnies pour deux cent hommes; tout cela eût été plus ridicule encore qu'illégal sans les fatales conséquences d'une faute si grave.
Les deux autorités étaient en conflit; mais le Roi avait confirmé Monsieur Péraldi dans ses fonctions: la lutte allait cesser par la retraite forcée d'Ortoli. Une véritable rébellion s'organise; on veut interdire au sous-préfet l'entrée de Sartène, et la ville est épouvantée d'une sanglante tragédie. La mort a frappé les agresseurs; mais si le sang des citoyens a été versé par la main des citoyens; s'il faut gémir sur la fatale issue de cette lutte cruelle, faut-il donc sans nécessité en prolonger les suites? Quoi don? Le jury ne fut point suspect pour juger les deux hommes que vous présentiez comme les plus coupables, et il sera tout-à-coup pour juger ceux qui, d'après l'accusation même, n'ont pas pris au prétendu crime qu'une part secondaire. On déploiera la rigueur, non contre les accusés qu'on arrête, mais contre ceux qui se constituent volontairement! Et l'on attend pour se pourvoir qu'ils aient passé cinquante jours dans les prisons. Que deux d'entre eux, dont un septuagénaire, aient été frappés de maladie? Les témoins sont cités; le jour de l'audience est fixé, le neuf décembre ils seront libres, et c'est le 1er décembre qu'on adresse à la Cour de cassation cette déplorable requête!
Non, non, la Cour ne l'admettra pas. Le jury serait indulgent dites-vous, voyez, depuis qu'il existe en Corse, si la justice n'a pas su se faire jour? Comptez au contraire les causes renvoyées sur le continent pour cause de suspicion légitime, et voyez les résultats.
1° Salicetti, Zerbi et consorts, sept accusés, dont six contumaces; l'accusé présent acquitté par le jury; les accusés contumaces acquittés par la Cour d'Assises de l'Hérault.
2° Les dix-sept accusés du pillage de la Parthénope, tous acquittés.
3° Guerini et Renucci acquittés également.
Biadelli, son acquittement fut un véritable triomphe.
N'est-ce pas là une preuve concluante de cette vérité, qu'il faut laisser suivre à la justice son cours et ne pas ravir aux accusés leurs juges naturels?
Et enfin, dans quelle cause veut-on l'exception au principe? Le principal accusé a déjà obtenu une ordonnance d'acquittement; un second accusé, signalé comme le plus coupable après lui, est aussi rentré dans son domicile, lavé de tout soupçon. Et l'on voudrait qu'un jury du continent eût le courage de frapper ceux contre lesquels ne peuvent s'élever les plus vagues présomptions, lorsque deux jurys ont, sur les lieux mêmes proclamé l'innocence de Roccaserra et Durazzo! Disons-le hautement, dans toute circonstance il faut n'accueillir qu'avec la plus grande réserve une demande en renvoi; dans la cause, cette demande est sans motif, accueillie, elle serait sans résultat.
    Antoine-Jean Piétri, frère de l'un des accusés
    Antoine Casanova, fondé de pouvoir de tous

    Ad.Crémieux, avocat, en la Cour.

Et le même mois, aux borghegiani de répondre:

                                                                                                                        Mémoire
                                                                    pour le sieur Paul-Alexandre Piétri et le sieur Paul-François Ortoli                                                                                                                                                                                                          Contre
                                                                                                        Les Accusés de Sartène.

Le sieur Piétri, frère du malheureux capitaine de la Garde Nationale de Sartène assassiné à la tête de la compagnie, et le sieur Ortoli, l'une des victimes du même guet-à-pens, demandent le renvoi de la poursuite de ce crime devant une Cour d'assises du Continent pour cause de suspicion légitime.
Les accusés viennent de publier un Mémoire en défense à cette demande: c'était sans doute leur droit. A Dieu ne plaise qu'il nous arrive jamais de contester aux Accusés aucunes de leurs prérogatives! Mais la demande a aussi les siennes et l'infortuné, qui se plaint de la cruauté de ses assassins, mérite aussi qu'on l'écoute et qu'on lui rende Justice.
        Les Accusés commencent par demander si nous voulons ou si nous ne voulons pas le Jury en Corse? Est-ce là l'objet du recours que nous avons formé devant la Cour de Cassation?
Oui, nous voulons le Jury, puisque nous demandons que le crime soit jugé par une Cour d'assises; nous voulons le Jury pour la Corse, comme pour toute la France; car nos principes et notre amour de la liberté n'admettent pas d'acception dans la répartition des droits qui appartiennent à toute la société; mais nous voulons des juges!…
Assurément nous n'avons pas la moindre intention d'offenser les respectables citoyens de l'île de Corse auxquels la loi remet le pouvoir d'exercer cette magistrature souveraine; mais quel que soit notre désir de voir le Jury de la Corse remplir son devoir, comme celui du continent, nous pouvons admettre que pour le crime qu'il s'agit de punir, on peut ne pas trouver toute l'indépendance nécessaire dans le pays qu'il a ensanglanté.
Or, telle est notre crainte.
                                                                                                                               Faits.

Un crime affreux fut commis le 16 septembre 1830, dans la petite ville de Sartène; ce crime a fait frémir toutes les cités civilisées: il n'y a que les malheurs qui ont affligé la ville de Lyon qui aient pu égaler cet exemple.
Voici dans quelles circonstances:
Sartène, ville de 2000 âmes et chef-lieu de l'un des arrondissements de l'île de Corse fut toujours divisée en deux partis ou familles rivales: les unes ont pour bannières les privilèges et les autres prééminences; ce sont les RoccaSerra, les Durazzi et leurs partisans; les autres se distinguent par des principes libéraux, l'amour de l'indépendance et de l'égalité devant la loi.
Pendant tout le règne de la restauration, le pouvoir fut confié aux mains des partisans de l'aristocratie; c'était conforme à l'ordre des idées de l'époque: mais arrivant la révolution de Juillet, les choses durent changer. Aussi ce grand événement fut-il accueilli diversement, selon que les intérêts et l'ambition s'en trouvèrent froissés ou soutenus. A Sartène, le parti dominant jusque là dut en être effrayé; l'autre dut y puiser l'espoir d'un changement dans sa position.
Le sous-préfet était alors absent. L'administration de l'arrondissement fut confiée provisoirement au sieur Pierre-André Ortoli; mais le sieur Vincentello RoccaSerra fut continué dans ses fonctions de maire. Une violente opposition dut se manifester entre ces deux administrateurs parce que chacun représentait un des deux partis qui divisaient la ville.
Aussi lorsqu'il fallut organiser la garde nationale, le maire ne voulut pas y prendre part, et le sous-préfet fut obligé de nommer une Commission municipale qui y procéda conformément à la loi de 1790. Mais le maire se promettait bien de renverser plus tard cette organisation, et, peu réservé dans ses propos, il qualifiait cette garde nationale des épithètes les plus outrageantes.
Les esprits étaient dans cette disposition lorsqu'on apprit que le sieur Peraldi, sous-préfet en titre, arrivait pour reprendre ses fonctions; le maire n'avait pas manqué de publier que le premier acte de son administration serait la dissolution de la garde nationale. Dès lors agitation dans la ville. Les partisans de RoccaSerra ne se contentèrent pas de répandre ces propos; ils appelèrent encore les paysans des montagnes, qui descendirent armés dans la ville, et s'assemblèrent dans le quartier Ste-Anne pour soutenir, disaient-ils, les projets des ennemis du nouvel ordre des choses. Que l'on se figure la fermentation qui régnait alors dans la ville. La guerre civile était imminente, la rébellion avait levé la tête!
Le sous-préfet par intérim, responsable de la tranquillité et chargé de maintenir le bon ordre, que le maire lui-même se plaisait à troubler, dut s'agiter aider de la force armée. Il convoqua la garde nationale et la gendarmerie; mais au moment où l'une des compagnies de cette garde civique, assistée d'une brigade de gendarmerie arrivait en patrouille sur la place Ste-Anne, un premier coup de feu partit de l'une des maisons Durazzo et vint atteindre mortellement le sieur Piétri, capitaine. A ce premier signal une fusillade générale partit de toutes les maisons; Antoine Susini fut aussi frappé à mort, plusieurs autres gardes nationaux et gendarmes furent blessés plus ou moins grièvement; toute la patrouille fut dispersée; dès ce moment l'anarchie et la guerre civile s'emparèrent de la ville.
Tel est le crime qui est déféré en ce moment à la Justice. Treize accusés furent mis en prévention et renvoyés à la Cour d'assise par un arrêt de la Cour de Bastia du 14 mars 1831. Parmi eux étaient RoccaSerra, maire, et Polycarpe Durazzo, qui seuls étaient arrêtés; tous les autres étaient contumaces.
Les débats s'ouvrirent contre ces deux détenus, et malgré les charges évidentes, malgré la pressante éloquence du ministère public, le Jury prononça un verdict de non culpabilité.
RoccaSerra et Durazzo ont été acquittés…
Ce premier succès a enhardi les contumaces: ils s'accusaient sans doute eux-mêmes puisqu'ils avaient fui la présence de leurs Juges; mais ils proclament aujourd'hui leur innocence, et ils demandent à partager le triomphe de leurs complices.
        C'est sur cette nouvelle poursuite que les sieurs Piétri et Ortoli se présentent comme parties civiles. Piétri, frère de celui qui a reçu le coup mortel, Ortoli, blessé et menacé de perdre la vie, ont sans doute des réparations à demander à leurs assassins; mais ils croient avoir des motifs d'une suspicion légitime contre l'indépendance des juges de la localité, et c'est pour cela qu'ils sollicitent le renvoi de la cause devant une autre Cour d'assises. Leurs soupçons sont-ils fondés? C'est là ce que nous avons à démontrer.
                                                                                                                         Discussion.

Les accusés ont expliqué à leur manière les faits et circonstances de ce drame horrible. Comme on le pense bien, ils en ont déversé toute la faute sur leurs adversaires. Nous félicitons de ce que le besoin de la cause ne nous impose pas l'obligation de discuter ces faits. Ce n'est pas ici le lieu de confondre les coupables. Ils sont accusés! Le doute sur leur participation au crime peut exister tant que la Justice n'a pas prononcé; qu'ils jouissent de toute cette illusion! Il ne nous appartient pas encore de la détruire. Mais le fait principal, celui que personne n'oserait contester, c'est l'existence du crime. Ce fait est malheureusement trop notoire, et ses conséquences contre les demandeurs sont telles, que toute réparation civile sera toujours impuissante. Dans le mémoire produit pour la défense, on a vanté le patriotisme, le dévouement, les vertus civiques de RoccaSerra, ancien maire; on le devait, puisque la voix publique ne cesse de considérer comme le principal instrument de cette journée néfaste. Le soin que l'on met à le justifier n'est pas une moindre preuve du besoin qu'il a de se disculper; mais qu'il soit permis à ses adversaires de douter de tant de vertus, lorsque parmi les actions de la vie si malheureusement célèbre, ils se rappellent cette rixe avec un cordonnier qui le fit expulser de Florence; cette tentative d'assassinat sur un conseiller de la Cour impériale de Rome, qui motiva un procès criminel dont le procureur général Boucher et l'avocat général Tamiet peuvent conserver encore le souvenir, et ce procès en concussion, dit des Oliviers, pendant qu'il était maire. Tous ces épisodes de cette vie si vantée ne sont pas de nature à faire croire à tant de vertu. Enfin on tire argument de l'acquittement de RoccaSerra et de Durazzo; s'ils ont été acquittés, qu'ils jouissent de ce triomphe, si leur conscience le leur permet! Mais qu'ils ne cherchent pas à effacer de la mémoire de leurs victimes ce qu'elles ont vu dans la trop fameuse journée du 16 septembre.
        Ainsi, laissons de côté toutes ces justifications que nous ne pouvons pas discuter ici, et voyons seulement si la nature du crime, si les circonstances qui l'ont produit et celles qui l'ont suivi, permettent d'espérer qu'il sera apprécié et jugé avec ce sang froid et cette indépendance qui doivent caractériser la Justice. S'il s'agissait de l'un de ces forfaits commis par un individu, soit à titre de vengeance, soit pour s'emparer de la propriété de son semblable; la société, sans doute, ne serait pourtant pas ébranlée dans son principe, et ceux auxquels la loi remet le soin de punir le coupable, personnellement désintéressés, apprécieraient avec indépendance et résignation le corps du délit et l'énormité de l'offense. Ainsi le Jury serait animé du seul désir de venger la loi, la magistrature sentirait le besoin d'en faire l'application, et l'accusé serait assuré d'être acquitté s'il prouvait son innocence, ou d'être condamné si son crime était reconnu constant. Mais combien sont différentes les circonstances qui ont produit le forfait de Sartène! La cause du crime a pris sa source dans une malheureuse division qui trouble toute la société. Deux classes influentes se sont séparées en deux camps ennemis; l'amour propre de caste et de privilège, la passion des opinions politiques sont l'aliment de cette guerre d'observation d'abord, et terminée ensuite par le combat le plus sanglant. Ce combat a été livré par de simples citoyens à la force armée, organisée pour maintenir le pouvoir que la nation avait proclamé légitime. Or, c'est là le crime le plus terrible que la société puisse redouter; parce que dès l'instant où la rébellion brise les liens du pouvoir, il n'y a plus d'organisation sociale possible. Ainsi dans le fait, tous les habitants de cette île ont éprouvé des ressentiments de ce forfait inouï, selon que leurs opinions ont sympathisé plus ou moins avec l'un ou avec l'autre des partis; tous ont participé aux conséquences de ce drame terrible. Aujourd'hui la Justice doit exercer ses vengeances, et d'après nos lois, c'est dans la société même qu'elle doit prendre ses organes. Eh bien! pense-t-on que les jurés arriveront dans le temple de la Justice dégagés de tout sentiment de sympathie ou de haine pour les accusés? Les jurés sont choisis dans la classe la plus élevée des citoyens; or que l'on examine la position des accusés? C'est précisément à cette classe qu'ils appartiennent. Que l'on consulte leur nombre, leur position, les nombreuses alliances qui les unissent à toutes les familles de la Corse, et l'on verra s'ils ne sont pas surs de trouver de l'écho dans la composition du Jury. Sans doute, ce Jury pourra se composer aussi de quelques partisans de l'opinion des parties civiles; mais alors faudra-t-il établir dans ce Jury même cette exécrable division qui a produit le carnage de Sartène? Ce tribunal civique jugera-t-il sous l'influence de ses passions, ou bien éclairé par le flambeau de la raison et de la Justice? Faudra-t-il enfin que le sort des accusés dépende du hasard qui réglera le nombre de leurs amis ou celui de leurs ennemis? L'Ile de Corse, nous dit-on, fut divisée autrefois en deux départements, et par une sage combinaison, les citoyens de l'un de ces départements composent le Jury qui doit juger les accusés de l'autre. Cette combinaison, si elle est réellement possible, ce qui n'est pas, serait impuissante ici, car les alliances des accusés s'étendent également dans l'une comme dans l'autre de ces anciennes divisions; et l'un des chefs les plus influens de leurs familles, le sieur Piétri a été longtemps préfet du dépt de Golo, où il a laissé une clientèle nombreuse et où il forme des établissements considérables.
Si, du Jury, nous passons à la composition de la Cour royale, nous voyons que les alliances seules attachent les accusés à presque toute cette magistrature. Eh bien! on le demande à toute personne raisonnable: est-il possible de compter sur une entière indépendance pour la distribution de la justice? Ces faits ne suffisent-ils pas pour légitimer les soupçons élevés par les parties civiles?
Les accusés ne cessent de se prévaloir de l'acquittement des deux premiers détenus. Eh! c'est précisément là ce qui justifie la suspicion. Le Jury les a acquittés! Mais l'accusation avait-elle été désarmée par les preuves du débat? Que l'on se rappelle les paroles pleines d'indignation du ministère public, et l'on verra si l'accusateur reconnaissait l'innocence. Ce magistrat éloquent remplissait pour la première fois ce devoir terrible, mais sacré; peu familiarisé avec la sévérité de ce ministère, son cœur cherchait sans doute des innocens là où l'accusation dénonçait des coupables; eh bien! les preuves avaient été si accablantes que le devoir du magistrat l'avait emporté sur la sensibilité du citoyen, et ce fut alors qu'il prononça ces paroles dignes du plus bel âge du barreau. (voir la gazette des tribunaux du 19.8bre 1831.)
RoccaSerra et Durazzo furent acquittés, dit-on, et voyez si la tranquillité en fut troublée?
Ah! pourquoi nous force-t-on de rappeler encore les horribles passions de la vengeance qui agitent trop souvent les malheureux corses! Oui, la tranquillité publique a souffert de ces acquittements, et la haine a fait frémir de nouveau les cœurs des sartenais; lisez la proclamation du sous-préfet à la date du 15.8bre, et vous verrez quels ont été les fruits de la trop grande facilité du Jury!

L'arrêt de la dite Cour en date du 19 janvier 1832 rejette la demande:

Extrait du Journal des Tribunaux
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Justice criminelle
Ord: du 19 Janvier 1832
Présidence de Monsieur le Comte Bastard (ou Bastaro)
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Demande en renvoi pour cause de suspicion légitime
Jury de la Corse
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Le 16 7bre 1830, une émeute sanglante eut lieu dans la ville de Sartène, chef lieu d'un arrondissement de l'Ile de Corse; nous n'entrerons pas dans les détails de ces événements tragiques, racontés diversement par chacune des parties, et qui seront bientôt soumis à l'appréciation du jury; nous dirons seulement que deux individus ont été tués et cinq autres bléssés. Au nombre des victimes se trouvait le sieur Piétri capitaine de la Garde Nationale: le frère de ce malheureux se porta partie civile dans les poursuites exercées contre les prétendus auteurs de ces crimes. La Cour Royale de Corse évoqua l'affaire et par arrêt du 14 Mars 1831, treize individus ont été renvoyés devant la Cour d'assises; deux des accusés seulement ayant pu être saisis ont été soumis à des débats contradictoires, et ils ont été l'un et l'autre déclarés non coupables par le jury et acquittés; l'un d'eux était le sieur Roccaserra Maire de la ville de Sartène.
Après l'acquittement de ces deux accusés, Monsieur le Procureur Général près la Cour Royale de Corse a demandé à la Cour de cassation, pour cause se suspicion légitime, le renvoi devant une Cour d'assises du continent des accusés aujourd'hui en état d'accusation d'arrestation.
La partie civile est intervenue pour se joindre à la demande formée par Monsieur le Procureur Général. Maître da Costa défenseur de la partie civile a prétendu que la cause des scènes sanglantes de la journée du 16 7bre 1830 tenait à des divisions politiques et des haines qu'elles avaient excitées, qu'il était impossible qu'un jury statua avec impartialité et sans passion sur l'accusation qui allait être soumise à la Cour d'assises; que d'ailleurs un grand nombre de jurés et plusieurs des Magistrats composants la Cour Royale de Corse étaient parents ou alliés soit des accusés soit des accusateurs. Maître Crémieux défenseur des accusés a dit que toute la question était de savoir si on voulait oui ou non conserver à la Corse l'institution du jury: il a répondu aux allégations de fait présentés par la partie civile. Il invoque comme preuve de l'impartialité qui présiderait au jugement des accusés la conduite impartiale et de la Cour Royale de Corse et des jurés dans les débats auxquels ont été soumis les deux accusés acquittés. Il a fait remarquer aussi que l'Ile de Corse compte 800 jurés parmi lesquels 22 seulement appartiennent à la ville de Sartène; en cet état les accusateurs n'ont rien à craindre. La justice de la Corse saura remplir son devoir. Monsieur le Procureur Général Dupui après avoir examiné les moyens sur lesquels était fondée la demande en renvoi après avoir prouvé que la conduite de la Cour Royale de Corse et du jury, dans toute cette affaire, avait été parfaitement impartiale continue en ces termes:
"Pourquoi admettre une demande en renvoi pour cause de suspicion légitime il faut des causes graves, évidentes; l'intérêt de la justice l'exige car pour être efficace la justice doit être rendue sur place: en second lieu un pareil renvoi est de nature à jeter une vive déconsidération sur la Cour qui ne doit être établie en l'état de suspicion légitime que lorsque des actes justifient pleinement de pareils soupçons.
La Cour de Bastia est elle dans ce cas? Elle qui à la première connaissance qu'elle a eu de l'affaire, l'a évoquée; qui a nommé dans son sein pour procéder à l'instruction un Magistrat, à l'intégrité duquel la partie civile elle-même rend un éclatant hommage, qui enfin a rendu un arrêt de mise en accusation contre 13 prévenus.
Est ce le jury qui pouvait justifier le renvoi? Le jury est nouveau en Corse; dès sa naissance faudra-t-il le placer en état de suspicion et arrêter son action?
La division des partis, ou des familles dans l'île, le caractère de la population sont des raisons qu'on pourra reproduire en toute affaire. Pour qu'il y ait paix en Corse faudra-t-il donc en exiler la justice, et la déléguer sur le continent? D'ailleurs Messieurs, il faut le reconnaître, cet esprit corse, ce sentiment de "vendetta" transmis de génération en génération a pris originellement sa source dans un sentiment de justice.
C'est parce que le Corse soumis à un joug oppresseur, n'avait aucune séparation, aucune justice, à attendre de ses Maîtres qu'il se vit réduit à se la faire lui-même. Apprenons lui que la justice n'est jamais le produit de la force; que chacun doit l'attendre de la loi et du jugement de ses pairs, qu'il voye les crimes traduits sur les lieux devant les juges du Pays; qu'il vienne s'asseoir lui même au nombre de ses concitoyens pour juger en son âme et conscience, il ne recourra plus aux armes pour arracher une "vendetta" quand la loi et ses pairs lui rendront justice.
Si l'on admettait les motifs exposés dans la demande en renvoi, il n'y aurait que les vagabonds, que les gens sans ---- qui pourraient être traduits devant le jury corse; car pour toute personne appartenant à une famille de l'île, pour toute personne dans la classe de celles qui sont appelées à composer le jury serait suspect, il faudrait le faire juger outre-mer par des hommes ne connaissant le plus souvent ni leur Pays ni leur langue. C'est à dire que l'institution du jury en Corse serait écartée pour tous ceux qui trouveraient réellement leurs pairs dans les jurés.
D'ailleurs le droit d'être jugé non seulement par un jury, mais par le jury du lieu, est un droit constitutionnel dont aucun citoyen ne doit être arraché à ses juges prive. Un citoyen ne doit être arraché à ces juges naturels que pour les motifs les plus graves, il faut que l'évidence et la nécessité contraignent à suspecter l'impartialité de leur justice: cette nécessité n'existe nullement dans l'espèce. Nous concluons au rejet de la demande en renvoi."
La Cour après une courte délibération a statué en ces termes:
Attendu qu'il n'existe pas de motifs suffisants de suspicion légitime rejette la demande en renvoi.
                                 Vive la Cour de cassation
                                 Vive Monsieur Dupui


        Les coaccusés comparaissent donc devant un jury corse[6] le 2 mai 1832. Le verdict est rendu le 8 mai: acquittement général.
Le procès fut perturbé par un assassinat commis à sartène. Le 4 mai 1832 à 20h, le procureur du roi à Sartène Giovan-Tomaso Susini, qui vient d'être nommé substitut du procureur général près la Cour royale de Bastia, en rentrant chez lui dans le quartier de Borgo, est assassiné sur le seuil de sa porte par deux frères Ortoli[7] d'Olmiccia. En fait cet épisode s'avérera indépendant des évènements du 16 septembre 1830. Un des frères Ortoli, inculpé pour tentative de meurtre, avait été dans un premier temps renvoyé en police correctionnelle pour simples blessures, avant que Susini forme opposition à l'ordonnance de la Chambre du conseil et la Cour le mette en accusation. Les mêmes frères Ortoli avaient été mis en prévention pour un assassinat et une double tentative de ce crime. Ils seront condamnés à mort par contumace le 22 décembre 1832.

IV Episode 'Furconi' ou le coup-double du roman "Colomba"

        Le 20 février 1833, les frères Paolo-Alesandro et Anton-Camillo Pietri, dont le frère Sebastiano avait été tué lors des évènements du 16 septembre, rentrent d'une de leurs propriétés du Rizzanese. De leur coté, Bisentelluccio, Paul-François et Cento-parole RoccaSerra, Jean-François Durazzo et Ferrando dit Spanto Pietri qui sont sortis faire escorte à l'abbé Arrigo RoccaSerra de Porto-Vecchio, rentrent à Sartène. Comme ils passent à proximité d'un enclos dénommé 'Furconi' et que les Pietri rentrent chez eux par le même chemin, Jean-François Durazzo, en les voyant, croit à une embuscade et il crie à ses cousins de prendre garde. Le combat aussitôt s'engage, les Pietri succombent et Bisentelluccio a le bras gauche fracturé par une balle.
Le même jour monsieur Giubega, sous-préfet de Sartène, écrit au préfet de la Corse: "Nos tristes prévisions ne se sont que trop tôt réalisées. Aujourd'hui à deux heures environ après midi, une rencontre fortuite a eu lieu entre les deux partis qui divisent la ville de Sartène, dans la plaine du Rizzanese. Les frères Alexandre et Camille Pietri appartenant au parti de l'ancienne garde nationale sont demeurés sur la place criblés de balles. Les individus du parti opposé qui ont participé à cette malheureuse affaire ont pris la fuite. La voix publique ne les désigne encore que dubitativement; ce ne sera que par le courrier de samedi que je pourrai vous écrire quelque chose de positif à cet égard. Cependant on assure que le sieur Jérôme RoccaSerra, frère de l'ancien maire, a été grièvement blessé. Dès que j'ai appris ce funeste événement, je me rendis sur la place publique; j'invitai la garnison à prendre immédiatement les armes, et je lui fis occuper les postes les plus importants de la ville afin qu'elle pût, au besoin, empêcher de nouveaux malheurs…"
Monsieur Giubega donne au préfet, le surlendemain 22 février, de plus amples détails: "On s'accorde généralement à dire que cette malheureuse affaire est décidément le résultat d'une rencontre fortuite entre les sieurs Camille et Alexandre Pietri, tous deux frères de l'une des victimes du 16 septembre 1830, d'une part, et les sieurs Jean-François Durazzo, Jérôme, Paul-François, Jean-Paul, cousins RoccaSerra, et Paul-Ferrand Pietri, surnommé Spanto, de l'autre. La partie, comme vous voyez, n'était pas égale, aussi les frères Pietri ont-ils succombé. Du parti opposé, le seul Jérôme RoccaSerra a été grièvement blessé à un bras. Il paraît que l'avant et l'arrière bras ont été également fracturés. On assure que l'amputation est inévitable et que l'absence de chirurgien ayant la capacité nécessaire met les forces du sieur RoccaSerra en danger. Le lieu de sa retraite n'est pas connu jusqu'ici… J'ai jugé convenable de réunir à Sartène toutes les brigades de gendarmerie et les différents détachements de voltigeurs corses stationnés dans l'arrondissement…"
        Le 3 mars, Bisentelluccio RoccaSerra se constitue prisonnier. L'instruction, vivement menée, tourne bientôt court, comme le relate monsieur Giubega dans sa lettre du 19 mars au préfet: "La procédure, qui touche à son terme, semble n'avoir jeté aucune lumière sur les circonstances qui ont amené la catastrophe du 20 février dernier. Je ne vous entretiendrai pas des différentes versions qui circulent sur cette malheureuse affaire. Chacun en parle sous l'inspiration de ses animosités ou de ses affections particulières, et aucun témoin oculaire ne s'est présenté, jusqu'ici, pour départager des opinions aussi diamétralement opposées. Cependant la plus communément accréditée, c'est qu'il n'y a pas eu guet-apens; que l'événement a été l'effet d'une pure rencontre, et que des paroles irritantes échangées de part et d'autre ont déterminé l'explosion dont les frères Pietri sont demeurés des victimes… Pour les ortolistes, les frères Pietri avaient été surpris par cinq roccaserristes, parmi lesquels Jérôme RoccaSerra, le frère de l'ancien maire, et lâchement assassinés. Pour les roccaserristes, les frères Pietri avaient tendu une embuscade à Jérôme RoccaSerra qui, bien que blessé au bras gauche, réussit, par un prodige d'habileté et d'énergie, à les tuer coup sur coup. Les imposantes forces de police concentrées à Sartène avaient de la peine à endiguer l'effervescence des esprits".
Bisentelluccio RoccaSerra bénéficiera d'un non-lieu.

V Episode Propriano

        Le 20 janvier 1834 à Propriano, Bisentelluccio RoccaSerra, Michele Durazzo et Paul-Marie Susini surveillent un chargement de marchandises à destination d'Ajaccio, lorsque arrive, escorté par quelques borghegiani, Giovan-Paolo dit Capo d'orso Rosolani qui se rend à Paris. Le départ de cette troupe n'avait pas échappé aux RoccaSerra qui avaient immédiatement dépêché cinq de leurs hommes à Propriano, et demandé au capitaine des voltigeurs d'intervenir pour éviter toute rencontre. Ceux-ci arrivent trop tard et ne peuvent que constater la mort de Giovan-Battista Susini et la grave blessure d'Antoine Casella chez les borghegiani.
Cento-parole RoccaSerra et Spanto Pietri d'une part (épisode 'Furconi'), Michele Durazzo et Paul-Marie Susini d'autre part (épisode Propriano), sont mis en accusation.
L'abbé Paolo-Maria Pietri, oncle des trois frères tués et donc le premier concerné pour le rétablissement de la paix entre les deux factions, déclare alors "La paix aura lieu quand la justice sera faite dans les procès de 'Furconi' et de Propriano... Mes neveux sont morts pour conserver leur honneur et je n'entend pas me déshonorer".

VI Le traité de paix de Sartène

        Suite à l'intervention pressante du gouverneur de la Corse, le lieutenant-général Lallemand, le 7 décembre 1834, à 11h du matin, tandis que les cloches de la ville sonnent à toute volée, les représentants du Borgo et de Ste-Anne pénètrent ensemble dans l'église paroissiale. La messe dite, toutes les personnes comprises dans l'inimitié jurent sur le saint autel d'oublier leurs griefs et de vivre en frères, puis ils signent un traité de paix.
"Au nom de Dieu, de la Patrie et du Roi des Français. Pardevant nous Rocca-Serra Notaire Royal à la résidence de Sartène, y demeurant et domicilié, chef lieu du Canton et de l'Arrondissement de Sartène, Département de la Corse soussigné et en présence des témoins ci-après qualifiés et soussignés, se sont volontairement constitués d'une part tous les individus presents désignés dans l'inimitié de Sartène sous le nom de parti Ste Anne, et de l'autre tous les individus également présents connus sous le nom de parti du Borgo répondant pour les absents et soussignés, lesquels nous ont exposé ce qui suit: La Ville de Sartène après avoir été le modèle de la modération et le foyer d'une société bien réglée, s'est trouvée tout à coup désolée par des événements sanglants que tous les habitans déplorent du fond de leurs cœurs, et qu'ils voudraient pouvoir effacer au prix de leur propre existance; aucun sacrifice ne leur coûterait en effet pour revenir à ces jours fortunés où le calme et l'union assuraient à chaque famille ses enfans, aux Mères leurs Epoux et à la Cité ses Amis et ses frères. Aujourd'hui le deuil est partout; il n'y a personne qui n'ait à déplorer la perte d'un parent affectueux, d'un Père ou d'un fils; au milieu de ce triste tableau l'on voit un vieillard vénérable, Ministre des Autels, qui avait servi de Père à trois de ses neveux, orphelins dès l'enfance, destinés à le remplacer, une mort prématurée et cruelle a éteint la belle vie de ces trois infortunés; leur Oncle malheureux a perdu tout ce qu'il pouvait humainement perdre, la vie est un fardeau pour lui, ses propres richesses l'accablent. Arbitre de la guerre, n'ayant plus rien à craindre il pouvait la continuer; cependant son âme généreuse n'a pu résister aux prières toutes paternelles qui lui ont été adressées par Monsieur le Lieutenant Général Baron Lallemand de donner la Paix à la Ville de Sartène. Respecté de tous les habitans, des siens comme de ses ennemis, pouvant exiger les satisfactions les plus rigoureuses, l'Abbé Paul Marie Pietri se dépouillant de tout amour propre et reconnaissant que personne ne peut être Juge désintéressé dans sa propre cause, que lorsqu'il s'agit surtout d'un traité de Paix, il faut qu'un tiers soit choisi pour en régler les conventions : Ne pouvant faire un meilleur choix que de s'en remettre entièrement et sans réserve à la loyauté et à la sagesse de Monsieur le Baron Lallemand qui dans de pareilles circonstances a déjà fait preuve de sa profonde connaissance de nos mœurs, de nos besoins et de son ardent amour pour le bien public; à cet effet pour rendre hommage à l'intérêt que Monsieur le Lieutenant Général prend à la prospérité de Sartène, l'abbé Pietri, qui depuis longtems n'avait dépassé le seuil de sa porte s'est présenté en compagnie de Monsieur l'Avocat de Figarelli pour assurer Monsieur le Baron Lallemand qu'il remettait en lui l'avenir de Sartène, lui faire part de son adhésion et de son profond dévouement.
Toutes les autres parties intéressées et notamment Messieurs Jacques Antoine Susini, Juge au Tribunal Civil de cette Ville, Jean Paul Rosolani, Vincent et Jacques-André Ortoli frères Ortoli, Augustin Susini du feu Susino, Antoine Pierre Andre Ortoli, tous propriétaires de Sartène y demeurant Jean Paul, dit Palluccio, et Jérôme du feu Jean Paul tous les deux Rocca-Serra, Jean Paul Durazzo, Antoine François Durazzo aussi propriétaires demeurant et domiciliés à Sartène chefs des partis répondant solidairement chacun pour les leurs, ayant manifesté les mêmes sentimens de confiance dans l'impartialité de Monsieur le Lieutenant Général, font le même choix et les mêmes vœux pour la paix de leur Pays.
En consequence toutes les personnes comprises dans l'inimitié de Sartène se sont rendues ce matin à onze heures dans l'Eglise Paroissiale de cette Ville, où après avoir invoqué le secours du Saint Esprit et ouï la Messe célébrée par Monsieur le Curé Lucciani elles ont juré en présence du Saint Autel et de la Nation au nom de l'honneur et du Roi des Français, entre les mains de Monsieur le Lieutenant Général, Pair de france, Commandant la diseptieme Division militaire de tenir et garder le présent contrat de paix.
1°      Article premier : Pardon et oubli pour tout ce qui se rattache aux funestes événemens passés; Paix, confiance et union pour l'avenir. Les signes éxtérieurs de guerre et d'inimitié disparaitront immédiatement.
2°      Article Deux : Les individus poursuivis par la Justice pour les faits de Sartène devront se constituer dans le délai d'un mois pour être jugés.
3°      Article Trois : On laissera à la Justice son libre cours, les partis n'existant plus dès ce jour, personne ne pourra agir ni pour aggraver le sort des prévenus ni pour les soustraire à l'action de la Loi.
4°      Article Quatre : Si les poursuites dirigées contre les prévenus
[8] Michel Durazzo, Jean Paul RoccaSerra fils de Pierre Paul et Paul Marie Susini venaient à cesser, ou s'ils sont acquittés, Monsieur le Lieutenant Général prendra à leur égard les mesures qu’il jugera indispensables pour la conservation de la paix.
5°      Article Cinq : Devront aussi s'éloigner dans les lieux et pendant le temps qui seront fixés par Monsieur le Lieutenant Général les sieurs: Jérôme RoccaSerra du feu Jean Paul, Paul François Rocca-Serra du sieur Jean Paul dit Palluccio et Pierre Pietri de feu Michel. Ce faisant ils donneront une preuve de sentimens de Paix dont ils sont animés et que rien ne leur coute pour assurer la tranquillité dans leur Patrie.
6°      Article Six : Pour donner enfin une dernière preuve de la sincérité des vœux que les parties font pour la prospérité de la paix, elles s'imposent l'obligation d'exécuter tout ce que Monsieur le Lieutenant Général croira devoir prescrire pour le maintient de la tranquillité à Sartène. A cet effet Monsieur le Lieutenant Général aura la bonté d'appeler l'attention du Gouvernement du Roi sur cet arrondissement aussi interessant que malheureux et oublié.
7°      Article Septieme : Les habitans de Sartène cidessus désignés, Borgo, et Ste-Anna s'interdisent le port d'armes a feu en Ville et reconnaissent que la plus grande partie de leurs maux vient de la facilité avec laquelle on y a recours. Ils formeront le vœu que cet exemple soit suivi par tous leurs concitoyens. Monsieur le Lieutenant Général pourra dans des circonstances graves abbandonnées à sa sagesse lever en tout ou en partie la susdite prohibition.
8°      Article huit : Les personnes qui aiment l'honneur et la Paix du Pays sont invités pour prêter aide et assistance pour la franche et loyale execution du présent contrat, de considerer les contrevenans comme parjures et les abandonner à l'éxégration du monde entier.
Après avoir donné aux parties acte de leur dire et conventions lecture leur a été faite dans les deux langues; chacun des individus intéressés y a apposé sa signature. Le present contrat a été également signé par les témoins requis et par toutes les personnes présentes à la cérémonie. Après l'allocution adressée par Monsieur le Lieutenant Général au peuple de Sartène, pour rendre encore plus solennel et sacré le present Contrat de Paix, un te Deum d'actions de grâces a été chanté. Dont acte fait et passé à Sartène dans la dite Eglise Paroissiale ce jourd'hui sept du mois de Décembre mil huit cent trente quatre en présence de Messieurs Pompée Pietri Avocat, Maire et propriétaire de Sartène, et Ignace Lucciani Curé de la Paroisse de la Ville de Sartène, témoins requis en conformité de la Loi demeurans et domiciliés à Sartène, lesquels après lecture de ces présentes par nous faite ont signé avec les Comparans et toutes les personnes présentes à la Cérémonie et nous Notaire; ainsi que par Messieurs l’Avocat de Figarelli, le Comte Hannequart, le Commandant Pianelli, le Commandant Cauro Médiateurs de la Paix, ainsi par Monsieur le Lieutenant Général sous les auspices duquel le présent Contrat a été fait. Suivent les signatures de:
    Prete Paolo Maria Pietri                  Susini Juge
    Jean Augustin Susini
    Gio:Paolo Rosolani
    Anton Vincente Ortoli                      Giacomo Andrea Ortoli
    Jean Baptiste Susini
    Sebastien Susini
    A.S. Susini                                        G ?? Susini
    Paul Marie Rosolani
    AJ Rosolani
                                      Anto Pietri (pas sûr)
    Jean Susini Dominique
    A.P.A. Ortoli
    A.F. Ortoli
    Jean Paul RoccaSerra                     Jérôme Rocca Serra
    Jérôme Roccaserra de Jean Paul
    Paul-François RoccaSerra
    Dominique RoccaSerra
    Pietro Paolo Rocca Serra

    P.J. Rocca-Serra
    Philippe RoccaSerra
    Paul François RoccaSerra de feu Ant
    Jean Paul Durazzo
    Etienne Polycarpe Durazzo
    A.F. Durazzo                                    I.Durazzo
    N ou ? Pietri
    Jean ? Pietri                                     Antoine Pietri
    A.F. Pietri                                        Pierre Pietri d’Antoine
    Jean Paul Pietri                               Paolo Susini
    F:X: Pietri pour moi et pour mes neveux Orsini
[9]
    AV Colonna d'Istria
    Antoine Fioravante Pietri
    Pierre ????????
    Pompée Pietri maire, témoin
    I:Luciani curé                                   P. Costa sous-préfet
    J.B. Ortoli Juge de Paix
    Hannequart                                      Cauro Comdt
    ??
    Pianelli Comdt                                 ????
    M. de Figarelli                                 Deoddi                                                            Cetty
    Mémé Peretti
    Lallemand                                                                                                              
    Rocca-Serra Notaire

        Comme il advient toujours en pareil cas, le 21 décembre 1834, la Cour d'assises acquitte tous les accusés sauf Spanto Pietri qui est condamné à cinq ans d'emprisonnement. Ce n'est pas ce qu'attendait l'abbé Pietri, il a donné sa parole il ne la reprendra pas, mais il refuse désormais de sortir de chez lui.
On peut penser que le bannissement de trois Sant'Anninchi (article 5 du traité de paix) est une exigence de l'abbé pour compenser la perte de ses trois neveux.
Et Sartène vit en 'paix'.

VII Epilogue 'Giargalella'

     A Sartène, du 6 au 15 septembre 1839, Mérimée a été reçu chez Bisentelluccio RoccaSerra:
"J'ai passé plusieurs jours dans la ville classique de la schiopettata, Sartène, chez un homme illustre, M. Jerome R..., qui, le même jour, fit coup double sur deux de ses ennemis. Depuis il en a tué un troisième, toujours acquitté à l'unanimité par le jury... (extrait d'une lettre du 30 septembre 1839, de Prosper Mérimée à l'abbé Esprit Requien, écrite de Bastia)",
"J'ai parcouru les montagnes et les maquis de l'arrondissement de Sartène en compagnie d'un M. Jerome Roccaserra, en butte à une vendetta terrible pour avoir tué deux de ses ennemis d'une seule main en deux coups de fusil, dans des circonstances exactement les mêmes que j'ai décrites dans Colomba… M. Roccaserra me disait que ma présence lui donnait une sécurité complète, ma qualité d'étranger étant pour lui comme une sauvegarde… (extrait d'une lettre du 26 octobre 1848, de Prosper Mérimée à George Grote)".
Bisentelluccio RoccaSerra ou son entourage lui a donc conté l'affaire 'Furconi' et vanté que son hôte, le bras gauche traversé par une balle, avait descendu coup sur coup les frères Pietri, sans être inquiété par la justice.
'Colomba' parait en 1841 et l'épisode du 'coup double de Furconi' y tient une bonne place, comme en atteste cette annotation de l'auteur:
"Si quelque chasseur incrédule me contestait le coup double de M. della Rebbia, je l'engagerais à aller à Sartène, et à se faire raconter comment l'un des habitants les plus distingués et les plus aimables de cette ville se tira seul, et le bras cassé, d'une position au moins aussi périlleuse".
Mérimée n'est-il pas entré dans la peau de son héroïne Colomba: comme elle pousse son frère Orso à venger la mort de leur père, ne pousse-t-il pas l'abbé Pietri à venger la mort de ses neveux ?
         Le 24 novembre 1843 Bisentelluccio RoccaSerra revient de sa maison de campagne, quand au lieu-dit 'Giargalella' à environ un kilomètre de Sartène, des coups de feu l'atteignent. Transporté chez lui, avant de mourir, il déclare n'avoir pas vu ses agresseurs et ne porter de soupçons sur personne. Comme on a vu deux hommes sortir de l'embuscade, la renommée claironne les noms des assassins présumés. Avant de mourir, Bisentelluccio lance cette phrase pleine de dignité à son meurtrier inconnu "montres-moi ta main et je te pardonnerai".
Dès que parvint à Sartène la nouvelle du crime, on vit s'ouvrir sur la place de Porta les fenêtres depuis longtemps closes de la 'casa longa' de l'abbé Pietri. Le cortège funèbre fît un détour pour se rendre à l'église et l'on fît une ouverture dans le mur de l'église qui longe le chemin de Ste-Anne, afin de ne pas donner à l'abbé Pietri, qui s'était installé à sa fenêtre comme au spectacle, la satisfaction de voir passer devant lui le cadavre du meurtrier de ses neveux.
Le lieutenant de gendarmerie de Sartène écrit au préfet de Corse le surlendemain 26 novembre: "J'ai l'honneur de vous rendre compte que le 24 de ce mois, vers une heure de l'après-midi, monsieur RoccaSerra Jérôme, dit le Bisenteluccio, propriétaire, demeurant à Sartène, a été tué sur la route Royale, qui de Sartène conduit à Propriano, au lieu-dit Jargalella, à un kilomètre de Sartène, à l'aide de trois coups d'armes à feu dont trois balles lui ont percé les reins et deux autres l'ayant atteint à l'épaule gauche sont sorties au-dessous du téton droit. Les assassins de monsieur RoccaSerra étaient deux. On les a vu fuir, mais ils n'ont pas été connus. Monsieur RoccaSerra ayant survécu près de cinq heures à ses blessures a déclaré n'avoir pas vu ses assassins et il n'a pu fournir le moindre soupçon sur personne. Cependant, dans la soirée du 22 courant, il aurait confié au maréchal des logis Monti de la résidence de Sartène qu'il était sûr qu'on allait l'assassiner un jour ou l'autre, attendu qu'il y avait des bandits qui lui en voulaient et que ces bandits étaient Tramoni, dit Muzzichello, Jean Pedinelli de Belzèse et Cicchino Tramoni, non prévenu, père du bandit Tramoni dit Calzarone tué en Sardaigne. Il n'a pas voulu confier au maréchal des logis Monti les motifs pour lesquels ces trois individus en voulaient à ses jours".




















[1] Les Santanninchi= les 'blancs', partisans des Bourbons.
[2] Oratoire Sainte-Anne, qui avait servi d'église paroissiale pendant la reconstruction de l'église Sainte-Marie qui s'était écroulée le 30/06/1765.
[3] Les Borghegiani= les 'rouges', libéraux.
[4] Un des enfants de Anton-Pier-Andrea d'Ortoli.
[5] Oncle germain de François-Xavier Pietri
  et grand-oncle de Anton-Maria Orsini.
[6] Le jury criminel fut rétabli en Corse par ordonnance du 12/11/1830, sur l'insistance de l'avocat Patorni et de l'ex-préfet Anton-Giovanni Pietri.
[7] Les frères Ortoli d'Olmiccia, non-identifiés.
[8] Cento-parole RoccaSerra dans l'épisode de 'Furconi', Michele Durazzo et Paul-Marie Susini dans l'épisode Propriano.
[9] Anton-Maria Orsini
, Bruninio Orsini et Anton Orsini.