Barbara da
Ortolo et Geronimo Rocha Serra
Le 24
(ou 25)
mai 1583, le turc Hassan Veneziano, au bout d'une course
de 20
'miglie', surprend Sartène et capture plus de 500 personnes[1].
L'épouse de Bernardino II da Ortolo,
Bradamanta,
fait partie des prisonniers[2].
Elle est rachetée en 1586 avec sa fille Barbara au moment où son mari décède
et sera
soupçonnée alors de l'avoir fait disparaître (lettre du 1 juillet 1586[3], de Giovan-Filippo et Marc'Antonio da Ortolo: "Le premier
mai
dernier fut donné dans une 'falcolella'...Bernardino de Raffaello de Sartène
notre neveu et
cousin, par Bradamanta sa femme laquelle est
revenue depuis
peu de Barbaria où elle était donna[4]
du
Roi d'Alger, lequel Bernardino mourut dans les cinq ou six
heures...").
Dans le rapport sur les pertes humaines de Sartène il est dit "Bernardino de Raffaello est sauf, sa femme a été enlevée[5]", il n'est pas fait mention
d'une fille (ni d’une femme
enceinte), j'en déduis que Barbara est née en 1583 (ou
1584) en
captivité "en Barbarie" (et l’on peut se poser des questions
sur l’identité de son père). On ne peut s'empêcher de faire le lien
entre son
prénom Barbara et 'barbare' terme par lequel étaient qualifiés les
turcs à
cette époque.
Toujours est-il qu'à l'âge de 3
ans, de
retour de captivité, Barbara se trouve orpheline de
père… et
seule héritière des biens de son grand-père Raffaello II, lui-même un des
héritiers de la
fortune du 'bénémérito[6]'
Raffaello
da Ortolo…!!!
Vers 1604, Barbara épouse un jeune homme 'de bonne famille' de Serra-di-Scopamène Geronimo Rocha Serra. Par un jugement du chancelier génois de Sartène en date du 9 mai 1605,
assistée
par son mari, Barbara est reconnue héritière
de son père
Bernardino II et de son
grand-père, contre les prétentions de son cousin Giordano da Ortolo qui demandait
l'application
d'un testament de Raffaello II du 11 septembre 1578. Giordano considérait ce jugement comme une
usurpation
d’un territoire Ortoli par Geronimo Rocha Serra qui bénéficiait
de ses
excellentes relations avec Gênes, mais Giordano n'a jamais été en mesure de
présenter
le dit testament. Ce testament aurait mentionné que Raffaello II laissait tous ses biens
mobiliers à
son fils unique Bernardino II, mais qu'en ce
qui concerne
les biens immobiliers (maisons et terrains) il laissait la moitié au
dit Bernardino II et l'autre moitié
à ses
frères Giocante et Giovan-Filippo et à son neveu Giordano. Une clause aurait stipulé
qu'au cas où
de son fils il n'y aurait pas de descendance masculine ses biens
iraient à ses
frères et son neveu déjà cités à charge pour eux de doter
confortablement la
descendance féminine. Certes ce type de clause où est mentionné
'descendance
masculine' était assez fréquent, mais il est tout aussi fréquent de
trouver la
simple mention 'descendance'. Ainsi Catalina da Ortolo qui, dans son
testament du 8 décembre
1602 par-devant le notaire Francesco-Maria Rocha Serra (oncle
germain de Geronimo), lègue ses biens à Orazio da Ortolo (et ses enfants) et à
Barbara, et elle précise que si
Barbara ne devait pas avoir de
descendance
sa part irait au dit Orazio (et ses enfants). A noter que
ledit
notaire officiait parfois à Sartène et qu’il connaissait la fortune des
Ortoli,
de là à penser qu’il fut l’instigateur de l’union entre son neveu et Barbara…
Pendant un demi-siècle l'anarchie règne sur ce territoire qui n'est pas
à
proprement dit partagé entre les héritiers de Bernardino. Chacun vend ou échange des
terres,
chacun sème ou fait paître ses bêtes un peu partout. Les litiges se
multiplient
entre les RoccaSerra et la Casa[7]
Ortoli. Le 4 mai 1665 le
génois Cristoforo Spinola ordonne aux deux parties de procéder à la
division
des terres de Sorgia et du 'fiuminale d'Ortolo', et l'on aboutit à un
pacte de
division temporaire du 15 février 1666 confirmé et complété par celui
du 29
mars de la même année. Ce pacte définit les terres qui sont attribuées
à
chacune des parties et celles qui restent indivises pour une durée de
seize ans
(exactement comme l'avaient fait les descendants de Giovan-Paolo Maggiore della Serra
pour
leur
territoire de San-Martino 50 ans auparavant). Ce n'est que le début
d'une
longue série de procédures entre les parties, impliquant même des
Susini par le
fait des unions et successions. Au moins jusqu’au milieu du 18ème
siècle le
partage définitif n’est toujours pas fait et l’inimitié perdure,
c'est-à-dire à l'époque des grands-parents des protagonistes de 1830.
A Sartène les membres des quatre
grandes
familles (Ortoli, Susini, Pietri et RoccaSerra) se mariaient entre eux, toutefois après le mariage de Geronimo Rocha Serra et Barbara da Ortolo il faudra attendre
1812 pour
voir un second mariage entre un RoccaSerra et une Ortoli, et la même année le troisième
mariage celui de Angela-Maria Ortoli et Filippino RoccaSerra déjà cité, qui
fit grand
bruit, et que les Ortoli jugèrent vraisemblablement comme une nouvelle
usurpation du territoire Ortoli par les RoccaSerra.
[1] Source: Bulletin de la Société
des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, n° 652, "La
crociera corsara
di Hassan Veneziano e il saccheggio di Sartene nel 1583" par Gianni de
Moro; lettre du 29 juin 1583, "Quadernetto
nel quale sono descritte tutte l'anime di Sartenesi prima della sua
perdita
come di quelle vi sono al presente,...").
[2] Déjà le
turc Dragut avait attaqué Sartène en 11.1545 (15 victimes et 130
prisonniers),
puis en 2.1549. ce qui amena les Ortoli entre autres à quitter les
environs de
Sartène pour s'installer en ville.
[3] Source: "Chronique de la
Corse" de Antoine-Marie Graziani, Editions Alain Piazzola.
"Questo primo de maggio prossimo pasato
fu
dato dentro una falcolella...Bernardino de Raffaello de Sarteni nostro
nipoti e
cocino, da Bradamanti sua mogli la quale di puoco è venuta d'Barbaria
esendo
donna del Re de Argere, qual Bernardino morsi fra cinque o sei ori...".
[4] Femme
du harem.
[5] Bernardino di Raffaello salvo,
ha perso la moglie.
[6] Distinction accordée par
l'Office de Saint-Georges et par la République de Gênes à un sujet
corse qui
les a servi. Cette distinction comportait des avantages matériels
(exemption de
certaines taxes ou impôts...).
[7] Maison dans le sens de famille
et apparentés, s'élargissant vers la notion de clan.